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LA MARÉCHALE.

Dites, dites votre sottise, je ne l’entendrai pas ; je me suis accoutumée à n’entendre que ce qui me plaît.

CRUDELI.

Je m’approchai de son oreille, et je lui dis tout bas : Madame la maréchale, demandez au vicaire de votre paroisse, de ces deux crimes, pisser dans un vase sacré, ou noircir la réputation d’une femme honnête, quel est le plus atroce ? Il frémira d’horreur au premier, criera au sacrilège ; et la loi civile, qui prend à peine connaissance de la calomnie, tandis qu’elle punit le sacrilège par le feu, achèvera de brouiller les idées et de corrompre les esprits.

LA MARÉCHALE.

Je connais plus d’une femme qui se ferait un scrupule de manger gras le vendredi, et qui… j’allais dire aussi ma sottise. Continuez.

CRUDELI.

Mais, madame, il faut absolument que je parle à M. le maréchal.

LA MARÉCHALE.

Encore un moment, et puis nous l’irons voir ensemble. Je ne sais trop que vous répondre, et cependant vous ne me persuadez pas.

CRUDELI.

Je ne me suis pas proposé de vous persuader. Il en est de la religion comme du mariage. Le mariage, qui fait le malheur de tant d’autres, a fait votre bonheur et celui de M. le maréchal ; vous avez bien fait de vous marier tous deux. La religion, qui a fait, qui fait et qui fera tant de méchants, vous a rendue meilleure encore ; vous faites bien de la garder. Il vous est doux d’imaginer à côté de vous, au-dessus de votre tête, un être grand et puissant, qui vous voit marcher sur la terre, et cette idée affermit vos pas. Continuez, madame, à jouir de ce garant auguste de vos pensées, de ce spectateur, de ce modèle sublime de vos actions.

LA MARÉCHALE.

Vous n’avez pas, à ce que je vois, la manie du prosélytisme.

CRUDELI.

Aucunement.