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souvent l’extrême opposé de l’erreur ; de même en philosophie expérimentale, ce ne sera pas l’expérience qu’on aura tentée, ce sera son contraire qui produira le phénomène qu’on attendait. Il faut regarder principalement aux deux points diamétralement opposés. Ainsi, dans la seconde de nos rêveries, après avoir couvert l’équateur du globe électrique, et découvert les pôles, il faudra couvrir les pôles, et laisser l’équateur à découvert ; et comme il importe de mettre le plus de ressemblance qu’il est possible entre le globe expérimental et le globe naturel qu’il représente, le choix de la matière dont on couvrira les pôles ne sera pas indifférent. Peut-être faudrait-il y pratiquer des amas d’un fluide, ce qui n’a rien d’impossible dans l’exécution, et ce qui pourrait donner dans l’expérience quelque nouveau phénomène extraordinaire, et différent de celui qu’on se propose d’imiter.


XLIV.


Les expériences doivent être répétées pour le détail des circonstances et pour la connaissance des limites. Il faut les transporter à des objets différents, les compliquer, les combiner de toutes les manières possibles. Tant que les expériences sont éparses, isolées, sans liaison, irréductibles, il est démontré, par l’irréduction même, qu’il en reste encore à faire. Alors il faut s’attacher uniquement à son objet, et le tourmenter, pour ainsi dire, jusqu’à ce qu’on ait tellement enchaîné les phénomènes, qu’un d’eux étant donné tous les autres le soient : travaillons d’abord à la réduction des effets, nous songerons après à la réduction des causes. Or, les effets ne se réduiront jamais qu’à force de les multiplier. Le grand art dans les moyens qu’on emploie pour exprimer d’une cause tout ce qu’elle peut donner, c’est de bien discerner ceux dont on est en droit d’attendre un phénomène nouveau, de ceux qui ne produiront qu’un phénomène travesti. S’occuper sans fin de ces métamorphoses, c’est se fatiguer beaucoup et ne point avancer. Toute expérience qui n’étend pas la loi à quelque cas nouveau, ou qui ne la restreint pas par quelque exception, ne signifie rien. Le moyen le plus court de connaître la valeur de son essai, c’est d’en faire l’antécédent d’un enthymème, et d’examiner le conséquent. La conséquence est-elle exactement la même que celle que l’on a déjà tirée d’un autre essai ?