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CXLVI.

Que le peuple ne voie jamais couler le sang royal pour quelque cause que ce soit. Le supplice public d’un roi change l’esprit d’une nation pour jamais[1].


CXLVII.

Qu’est-ce que le roi ? Si le prêtre osait répondre, il dirait : C’est mon licteur.

  1. Il n’est pas inutile de remarquer que l’ouvrage où se trouve cette dernière réflexion, aussi juste que profonde, a été écrit en 1774 ; et que les Anglais même, malgré leur pénitence annuelle et leurs remords intermittents et périodiques, ne font pas exception à cette règle générale. Sans oser se l’avouer à elle-même, ou plutôt sans s’en douter, cette nation en corps n’en est pas moins modifiée à cet égard pour tout le temps que la forme de son gouvernement sera monarchique : c’est qu’il faut peut-être plus de temps à un peuple policé pour oublier le supplice légal et public d’un de ses rois, et pour voir, même après plusieurs siècles écoulés, ses successeurs absolument du même œil et avec le même cortège de préjugés et d’illusions qu’il regardait les princes qui, avant ce grand exemple, ont régné sur lui, qu’il n’en a fallu à ce même peuple, fatigué d’une longue servitude, pour se résoudre à briser, de ses fers rompus, la tête de ses oppresseurs. Cette observation, dont on sentira d’autant mieux la vérité qu’on aura plus étudié le cœur humain, et qu’on le connaîtra mieux, suffit, ce me semble, pour inspirer à tous les Français cet esprit d’union, de concorde et de paix qui peut seul tarir la source de leurs maux. Puissent aujourd’hui ceux de mes concitoyens qui, moins par goût et par un choix réfléchi, que par l’effet du pouvoir de l’habitude et de la force des opinions préconçues, regrettent au fond de leur cœur un gouvernement aboli par la volonté nationale, et font secrètement des vœux, au moins indiscrets, pour en voir le rétablissement, examiner dans le silence de leurs passions et de leurs préjugés cette grande question ! Puissent-ils, plus instruits et plus éclairés, se convaincre fortement qu’il serait impossible aujourd’hui de courber tous les Français sous le même joug dont ils se sont affranchis, sans baigner encore la France dans des flots de sang, et sans lui imprimer une nouvelle secousse qui en entraînerait nécessairement le déchirement et la ruine ! Puissent, surtout, ces hommes aigris par le malheur, et que les convulsions, les désordres et les crimes de toute espèce, inséparables d’une grande révolution, n’ont que trop multipliés sur le sol de la république, abjurer enfin leurs haines, oublier, s’il se peut, le passé, ouvrir désormais leur âme à la clémence, à la commisération, à l’espérance, à l’amitié, à tous les sentiments doux et consolateurs ! Puissent-ils, soumis aux sages conseils de la raison et de leur propre intérêt bien entendu, reconnaître que, tout bien considéré, tout pesé, tout calculé, ils n’ont rien de mieux à faire pour leur bonheur et pour celui de leurs concitoyens, pour assurer surtout le repos, la durée, la gloire et la prospérité de la patrie, ce nom si cher à tous les cœurs bien nés, que de se rallier en foule autour du gouvernement établi par la constitution, de le maintenir, d’en fortifier à l’envi tous les ressorts, et de donner les premiers le précepte et l’exemple du respect et de l’obéissance aux lois de l’État ! (N., 1798.)