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LXV.

Celui qui n’est pas maître du soldat, n’est maître de rien.


LXVI.

Celui qui est maître du soldat, est maître de la finance.


LXVII.

Sous quelque gouvernement que ce fût, le seul moyen d’être libre ce serait d’être tous soldats ; il faudrait que dans chaque condition le citoyen eût deux habits, l’habit de son état et l’habit militaire. Aucun souverain n’établira cette éducation.


LXVIII.

Il n’y a de bonnes remontrances que celles qui se feraient la baïonnette au bout du fusil.


LXIX.

Exemple[1] de la jalousie de la souveraineté[2]. Tibère donna le commandement des légions à ses deux fils, et il se fâcha que le prêtre eût fait des[3] prières pour eux. On en ferait peut-être

  1. Ajouter, d’après la Correspondance secrète : rare.
  2. Diderot, incapable de s’assujettir à ne voir dans un livre que ce qui s’y trouve, raisonne ici sur des faits qui n’ont de réalité que dans son imagination. Il brouille et confond tout. C’est entre Drusus, son propre fils, et Germanicus, son fils adoptif, que Tibère, pour se mettre lui-même plus en sûreté, partagea le commandement des légions : Seque tutiorem rebatur, utroque filio legiones obtinente. Mais ce n’est pas en faveur de ces deux princes que les pontifes firent des prières qui leur attirèrent de la part de l’empereur une légère réprimande (modice perstricti). C’est Néron et Drusus, tous les deux fils d’Agrippine et de Germanicus, que les prêtres recommandèrent aux dieux ; et ces deux princes n’ont jamais commandé les légions. Ainsi cet exemple de la jalousie de la souveraineté est mal choisi, puisqu’il s’agit, dans les deux faits que Diderot a liés mal à propos, de personnages très-différents. Voyez la note suivante. (N.)
  3. Ce fait, tel que Diderot le présente ici, et séparé des circonstances qui l’accompagnent dans Tacite, est assez insignifiant : mais il n’en est pas de même, lorsqu’on le lit dans l’original. Ces mêmes circonstances que Diderot a négligées ou omises, sans doute parce qu’il a cité de mémoire, deviennent alors autant de nuances différentes du caractère de Tibère, autant de traits qui le font mieux connaître. On en va juger. Les pontifes, et à leur exemple les autres prêtres, en faisant des vœux pour la conservation de l’empereur, recommandèrent aussi aux dieux Néron et Drusus. Tibère, qui avait toujours traité durement la famille de Germanicus (haul unquam domui Germanici mitis), fut très-offensé de ce qu’on égalait ainsi des enfants à un homme de son âge, et il avertit le sénat de ne point enorgueillir, désormais, par des honneurs prématurés, des têtes jeunes et légères. Tum vero æquari adolescentes senectæ suæ, impatienter indoluit… cæterum in senatu oratione monuit in posterum, ne quis mobiles adolescentium animos præmaturis honoribus ad superbiam extolleret. Annal, lib. IV, cap. xvii. On voit, par cet exposé, que Diderot n’est point entré dans la pensée de Tacite ; et que le principe général qu’il veut établir ici, quoique vrai en lui-même et fondé sur l’expérience, ne peut pas se déduire de la conduite de Tibère dans cette circonstance. (N.) — Il nous semble que Naigeon considère trop ici, comme partout, le travail de Diderot comme un commentaire de Tacite. En réalité, Tacite n’est pour le philosophe qu’une cause occasionnelle des réflexions qui lui viennent à l’esprit et il suffit que ces réflexions soient justes en elles-mêmes.