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frappantes, mais il manquera des qualités précédentes qu’on ne tient point de la nature, mais que le goût seul peut donner. L’art d’écrire s’apprend, celui de penser et de sentir ne s’apprend guère.


CHAPITRE XX.


Page 239. — Il ne faut qu’un moment pour admirer, il faut un siècle pour faire des choses admirables.

Oui, pour admirer sans jugement ; mais il y a des morceaux de sculpture qui m’ont arrêté des heures entières ; je ne me suis jamais lassé, je ne me lasserai jamais devant le Laocoon, j’y souffrirai toujours en le regardant, et je m’en arracherai toujours avec peine. J’ai lu et relu vingt fois Homère ; il y a des pages de Buffon dont je n’ai peut-être pas encore senti toute la perfection ; mon Horace est usé et mon Racine est sale.


CHAPITRE XXI[1].


Page 240. — Je ne pense pas qu’il en soit de la jouissance d’une belle femme comme de la peinture de cette femme et de la description voluptueuse des plaisirs qu’on a trouvés sur son sein : la jouissance est plus vive, l’image dure plus longtemps. Un amateur est plus fidèle à son tableau qu’à sa maîtresse. Un homme se blase plus vite sur les objets des sens qu’un homme de bon goût sur les imitations de l’art.

J’aime mieux changer d’ennuis comme le riche que de souffrir toujours la même peine comme le journalier. J’aime mieux courir, même sans succès, après le bonheur, que rester à côté de l’infortune et de la misère.

Bonnier[2] mourut d’ennui au milieu des délices.

Je n’en crois rien. Bonnier s’ennuya et mourut de maladie.


CHAPITRE XXII.


Page 242. — Si la félicité était toujours compagne du pouvoir, quel homme eût été plus heureux que le calife Abdoulra-

  1. De l’état actif et passif de l’homme.
  2. « À peine avait-il formé un souhait, que la fée de la richesse venait le remplir. Bonnier était ennuyé de femmes, de concerts, de spectacles ; malheureux qu’il était, il n’avait rien à désirer. » De l’Homme. V. sur Bonnier, Journal de Barbier, II, 454.