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anciens n’ont connu que l’état sauvage. Un législateur moderne plus éclairé qu’eux, qui fonderait une colonie dans quelque recoin ignoré de la terre, trouverait peut-être entre l’état sauvage et notre merveilleux état policé un milieu qui retarderait les progrès de l’enfant de Prométhée, qui le garantirait du vautour, et qui fixerait l’homme civilisé entre l’enfance du sauvage et notre décrépitude.


CHAPITRE IV.


Page 195. — L’idée de vertu et l’idée de bonheur se désuniront à la longue, mais ce sera l’œuvre du temps et même d’un long temps.

Il me semble qu’Helvétius dit ailleurs que cette dissociation d’idées sera l’ouvrage d’un instant, que le tyran n’a qu’à parler, et qu’elle sera faite[1].

Ibid. — Mais de meilleures lois établies, s’imagine-t-on que sans être également riches ou puissants, les hommes se croiront également heureux ?

L’expérience des peines de notre état et l’ignorance des peines de l’état d’autrui ne commencent-elles pas à séparer l’idée de bonheur de notre médiocrité de fortune, et à l’attacher à l’idée de la puissance et de la richesse dont nous sommes privés ? Si cela est, vos bonnes lois auront servi à peu de chose.

Non certes, l’idée de bonheur ne s’associe pas à l’idée de l’or et des dignités au fond des forêts où il n’y a ni dignités ni or. Mais en est-il ainsi au centre d’une société où l’enfant et l’homme du peuple voient sans cesse autour d’eux, à leur porte, à côté d’eux ces fantômes du bonheur ?

Tous nos éloges de l’état humble, de l’état aisé ont-ils persuadé à un seul citoyen que c’était celui du bonheur, et éteint dans son cœur la cupidité de l’or, l’ambition des honneurs ?


CHAPITRE V.


Page 198. — Partout où les citoyens n’ont point de part au gouvernement, où toute émulation est éteinte, quiconque est au-

  1. Voir plus haut, chap. ii de la section IV, p. 380.