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SECTION VIII.


CHAPITRE II.


de l’emploi du temps.


Page 188. — J’ai lu ce chapitre avec le plus grand plaisir ; je n’ai pas la force de le contredire en forme, mais je crains bien qu’il n’y ait un peu plus de poésie que de vérité. J’aurais plus de confiance dans les délices de la journée d’un charpentier, si c’était un charpentier qui m’en parlât, et non pas un fermier général dont les bras n’ont jamais éprouvé la dureté du bois et la pesanteur de la hache. Ce bienheureux charpentier, je le vois essuyer la sueur de son front, porter ses mains sur ses hanches et soulager par le repos la fatigue de ses reins, haleter à chaque instant, mesurer avec son compas l’épaisseur de la poutre. Peut-être est-il fort doux d’être charpentier ou scieur de pierre, mais franchement je ne veux point de ce bonheur-là, même avec l’agréable souvenir, à chaque coup de cognée ou de scie, du payement qui m’attendrait à la fin de ma journée.

Toutes les sortes de travaux soulagent également de l’ennui, mais tous ne sont pas égaux. Je n’aime point ceux qui amènent rapidement la vieillesse, et ce ne sont ni les moins utiles, ni les moins communs, ni les mieux récompensés.

La fatigue en est telle, que l’ouvrier est bien plus sensible à la cessation de son travail qu’à l’avantage de son salaire : ce n’est pas sa récompense, c’est la dureté et la longueur de sa tâche qui l’occupent pendant toute sa journée. Le mot qui lui échappe lorsque la chute du jour lui ôte la bêche de la main, ce n’est pas : « je vais donc toucher mon argent… » c’est : « m’en voilà donc quitte pour aujourd’hui. »

Et vous croyez que quand il est de retour chez lui, il est bien pressé de se jeter entre les bras de sa femme ? Vous croyez qu’il y est aussi ardent qu’un oisif entre les bras de sa maîtresse ? Presque tous les enfants des gens de peine ne se font que le matin d’un dimanche ou d’une fête.

J’ai pourtant fait une expérience que je vais rapporter : on en conclura tout ce qu’on voudra. Je revenais du bois de Bou-