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mets délicats, des vins exquis, tu les auras ; mais si tu as l’ambition d’être quelque chose dans la société, c’est ton affaire, ce n’est pas la mienne ; travaille le jour, travaille la nuit, instruis-toi, car avec toute ma fortune je ne ferais pas de toi un huissier.

Alors l’éducation prendra un grand caractère, alors l’enfant en sentira toute l’importance ; car s’il demande qui est-ce qui est grand chancelier de France, il arrivera souvent qu’on lui nommera le fils du menuisier ou du tailleur de son père, peut-être celui de son cordonnier.

Si les concurrents sont jugés sur leurs mœurs et leurs lumières, si les vices donnent aussi sûrement l’exclusion que l’ignorance, il y aura d’honnêtes gens et des gens habiles.

Je ne prétends pas que ce moyen soit absolument sans inconvénient, ni que, quels que soient les juges du mérite, il n’y aura ni prédilection, ni esprit de parti, ni aucune sorte de partialité ; mais il y a une pudeur qui même de nos jours en a quelquefois imposé aux ministres, et je ne pense pas qu’on osât préférer un fripon ou un sot à un concurrent honnête et éclairé. Ce qui pourrait arriver de pis, c’est que, peut-être, on ne nommerait pas toujours à la place vacante celui qui en serait le plus digne.

Il n’y a que le concours du mérite aux grandes places qui puisse réduire l’or à sa juste valeur.

Dans cette supposition je demande quel motif étrange pourrait déterminer un père à se tourmenter toute sa vie pour n’accumuler que des biens et ne transmettre à son fils que les moyens d’être un avare, ou un dissipateur ou un voluptueux ?

En même temps que le mérite sera plus honoré, la cupidité diminuée, le prix de l’éducation mieux senti, les fortunes seront moins inégales. Ces effets désirés s’enchaînent nécessairement les uns aux autres.

La seule richesse vraiment désirable est celle qui satisfait à tous les besoins de la vie, et qui met les pères en état de donner d’excellents maîtres à leurs enfants.

Toutes les conséquences des principes qui précèdent sont faciles à tirer.

Sans de bonnes mœurs publiques, point de vrai goût ; sans instruction et sans probité, point d’honneurs à poursuivre. Un souverain peut combler son favori de richesses, mais il ne peut lui donner ni des connaissances ni de la vertu