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mais jamais à suppléer l’aptitude qui manque. C’est à cette infructueuse opiniâtreté d’un travail ingrat que j’attribuerais volontiers la nuée des imitateurs en tout genre. Ils voient faire les autres, ils s’efforcent de faire comme eux ; leurs yeux ne sont jamais tournés au dedans d’eux-mêmes, ils sont toujours attachés sur un modèle qui est au dehors. La sorte d’impulsion qu’on leur remarque, c’est le choc d’un génie étranger qui la leur communique. La nature pousse l’homme de génie, l’homme de génie pousse l’imitateur. Il n’y a point d’intermédiaire entre la nature et le génie qui est toujours interposé entre la nature et l’imitateur. Le génie attire fortement à lui tout ce qui se trouve dans la sphère de son activité, qui s’en exalte sans mesure. L’imitateur n’attire point, il est attiré ; il s’aimante par le contact avec l’aimant, mais il n’est pas l’aimant.

Page 44. — La faim se renouvelle plusieurs fois par jour et devient dans le sauvage un principe très-actif.

Cela se peut ; mais ce principe si impérieux produit moins de forfaits en cent ans parmi les sauvages, qu’à la Chine, dans le plus sage des empires, il ne s’en commet en un mois de disette.

Ce que j’ose avancer de la faim est encore plus vrai de toutes les autres passions.

Vous préférez donc l’état sauvage à l’état policé ? Non. La population de l’espèce va toujours en croissant chez les peuples policés, et en diminuant chez les nations sauvages. La durée moyenne de la vie de l’homme policé excède la durée moyenne de la vie de l’homme sauvage. Tout est dit.

La contrée la plus heureuse n’est pas celle où il s’élève le moins d’orages ; c’est celle qui produit le plus de fruits. J’aimerais mieux habiter les pays fertiles où la terre tremble sans cesse sous les pieds, menace d’engloutir et engloutit quelquefois les hommes et leurs habitations, que de languir sur une plaine aride, sablonneuse et tranquille. J’aurai tort lorsque je verrai les peuples de Saint-Domingue ou de la Martinique aller chercher les déserts de l’Afrique.

Oui, monsieur Rousseau, j’aime mieux le vice raffiné sous un habit de soie que la stupidité féroce sous une peau de bête.

J’aime mieux la volupté entre les lambris dorés et sur la mollesse des coussins d’un palais, que la misère pâle, sale et