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Cela n’est pas vrai. Irai-je me faire tuer par un spadassin, en lui disant qu’il est un fripon ?

Pages 49-50. — Si dans les siècles d’oppression la vertu a quelquefois jeté le plus grand éclat ; si lorsque Thèbes et Rome gémissaient sous la tyrannie, l’intrépide Pélopidas, le vertueux Brutus naissent et s’arment, c’est que le sceptre était encore incertain dans les mains du tyran ; c’est que la vertu pouvait encore ouvrir un chemin à la grandeur et à la puissance.

En dépit de la tyrannie, de la corruption, de la bassesse et de l’inutilité de la vertu, il naît partout des hommes vertueux qui vivent et meurent dans leurs principes. Il faut avouer qu’ils sont rares.

Je sens que cet ouvrage m’attriste et qu’il m’enlève mes illusions les plus douces. Avec la lanterne de ce Diogène, j’ai peine à trouver un homme de bien, et je chercherais inutilement un peuple heureux.

Ibid. — Quelle estime aurait-on à la cour d’un Phocas pour le caractère d’une Léontine ?

Ou je me trompe fort, ou le plus grand. C’est dans l’antre du lion qu’il est beau de le braver.

J’admire au théâtre l’homme de bien, et dans les pièces tirées de l’histoire que je connais et dans les pièces dont le fonds est de pure invention et où les noms sont fictifs. Les trois quarts des auditeurs qui s’émerveillent ou qui pleurent sont ignorants et parfaitement étrangers à Brutus, à César, à Salluste, à Tite-Live, à Tacite. J’ignore l’impression qu’un Asiatique recevrait du spectacle de ces grandes âmes grecques ou romaines ; et c’est prononcer bien légèrement que d’assurer qu’il n’en serait point ému, tandis qu’on est assis sur la même banquette à côté du courtisan qui vient admirer Burrhus, après avoir fait à la Cour le rôle de Narcisse.

C’est que le scélérat ne peut mépriser la vertu, je ne sais même s’il peut la haïr.


CHAPITRE XIII.


Page 51. — La plupart des peuples de l’Europe honorent la vertu dans la spéculation : ils la méprisent dans la pratique.

Je n’en crois rien.