Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/389

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

en concevoir, à en comparer, et en retenir certaines avec plus de goût et de facilité que d’autres. Sans passions exercées, je l’ignore ; sans passions prêtes à se développer, je le nie ; avec une pente égale à toutes sortes de passions, je le nie encore ; avec une pente à toutes sortes de passions, je crois que je pourrais le nier. Il a des hommes qui n’ont point connu l’avarice. Il est rare qu’on n’ait pas une passion dominante, plus rare qu’on soit également dominé par deux ; tout aussi rare qu’une passion dominante ne se soit pas décelée à un œil attentif dès les premières années de la vie, longtemps avant l’âge de raison. Un enfant sournois se montre sournois à six mois ; un enfant se montre vif ou balourd, impatient ou tranquille, insensible ou colère, triste ou gai. Tout ce que l’auteur ajoute ferait croire qu’il n’a jamais observé d’enfants.

Page 14. — A-t-on remarqué qu’une certaine disposition dans les nerfs, les fluides ou les muscles donnât constamment la même manière de penser ?

Oui, on l’a remarqué. C’est sur le dérangement de cette manière habituelle de penser dans l’état de santé et sur les nouveaux symptômes ou le nouveau tour qu’elle prend, qu’est fondée une partie du pronostic du médecin.

Le moral change-t-il le physique ?

Non, le moral ne change point le physique, mais il le contraint, et cette contrainte continue finit par lui ôter toute son énergie primitive et naturelle. On inspire de la hardiesse à un enfant pusillanime, de la modération à un enfant violent, de la circonspection à un enfant étourdi ; on lui apprend ces choses comme on lui apprend à modérer ses cris dans la douleur : il souffre, mais il ne se plaint plus.

La nature retranche-t-elle certaines fibres du cerveau des uns pour les ajouter à celui des autres ? Un précepteur redresse-t-il le dos d’un bossu ?

Vous raisonnez de la tête comme des pieds, des fibres du cerveau comme des os des jambes ; ce sont pourtant des choses très-diverses. Ce que la nature a bien fait, une mauvaise habitude peut le gâter, le défaut d’exercice peut le détruire, comme l’un et l’autre peuvent rectifier ce qu’elle a mal fait. Le chirurgien dont l’âme se trouble et la main vacille dans les premières opérations, s’endurcit et cesse de frémir ; les entrailles du mé-