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on peut se cacher dans un puits, et les ruses différentes dont on peut user pour en faire sortir la Vérité qui s’y est retirée.

D’où l’on voit que ce n’est point au hasard que l’on doit sa première tentative, mais à la connaissance des imperfections de son art, connaissance qu’on tient de l’étude ; et que ce n’est pas plus au hasard qu’il faut attribuer les moyens de la découverte que la découverte elle-même.

Rien ne se fait par saut dans la nature[1] et l’éclair subit et rapide qui passe dans l’esprit tient à un phénomène antérieur avec lequel on en reconnaîtrait la liaison, si l’on n’était pas infiniment plus pressé de jouir de sa lueur que d’en rechercher la cause. L’idée féconde, quelque bizarre qu’elle soit, quelque fortuite qu’elle paraisse, ne ressemble point du tout à la pierre qui se détache du toit et qui tombe sur une tête. La pierre frapperait indistinctement toute tête également exposée à sa chute. Il n’en est pas ainsi de l’idée ; et il n’est pas indifférent à Fontaine[2], qui s’occupe de la perfection des nouveaux calculs, de rencontrer D’Alembert ou Clairaut, ou quelque autre géomètre. Un passant ne dit point à un autre passant : Vous m’avez volé ma pierre… et tous les jours j’entends un savant dire à un autre : Vous m’avez volé mon idée. Combien il en tombe qui ne rencontrent point de tête !

Assurément, c’est à la chaleur d’une conversation, à une dispute, une lecture, un mot, qu’on doit quelquefois le premier soupçon d’une vérité ; mais à qui ce soupçon vient-il ? À tous les hommes communément bien organisés. Par combien de préliminaires il a été préparé !

Page 2. — Lorsque j’entrevois une vérité inconnue elle est déjà découverte.

L’auteur n’a pas considéré que tout se tient dans l’entendement humain ainsi que dans l’univers, et que l’idée la plus disparate qui semble venir étourdiment croiser ma méditation actuelle, a son fil très-délié qui la lie soit à l’idée qui m’occupe, soit à quelque phénomène qui se passe au dedans ou au dehors de moi ; qu’avec un peu d’attention je démêlerais ce fil et reconnaîtrais la cause du rapprochement subit et du point de contact de l’idée présente et de l’idée survenue, et que la petite se-

  1. Mot de Linné : Natura non facit saltus.
  2. Géomètre qui, en effet, perfectionna notablement le calcul intégral.