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comme un homme de génie, si le hasard le veut ? Helvétius, vous souriez, et pourquoi souriez-vous ? Je ne suis pas communément bien, je suis bien organisé ; j’ai du sens, j’ai des connaissances, j’ai l’habitude de la méditation. Je ne demanderais pas mieux que de jouir d’une grande considération pendant ma vie et que de laisser un nom illustre après ma mort ; un violent désir de découvrir, d’inventer, interrompt mon sommeil pendant la nuit, me poursuit pendant le jour ; il ne me manque qu’un heureux hasard, je l’attends ; il est vrai que c’est depuis environ cinquante ans, sans qu’il soit venu ; mais qui vous a dit qu’il ne viendrait pas ?… Vous souriez encore, et vous avez raison.

S’il arrive à quelque autre qu’à un D’Alembert, à un La Grange, à un Euler, ou quelque autre géomètre de la même force de perfectionner le calcul des fluxions, je jure de croire à Helvétius et à son hasard ; mais je ne risque rien.


CHAPITRE I.


Page 2. — Notre mémoire est le creuset des souffleurs[1].

Oui, mais jetez dans un creuset, sans choix et sans projet, des matières diverses prises au hasard ; et sur un essai qui vous rendra quelque chose d’utile, cent fois, mille fois vous aurez perdu votre creuset, votre temps, vos ingrédients et votre charbon.


CHAPITRE II.


Ibid. — Une vérité entièrement inconnue ne peut être l’objet de ma méditation.

On ne pense pas à ce qu’on ne connaît point, cela est évident ; mais on connaît dans toute science et dans tout art ce qu’il y a de fait, ce qui reste à faire, les obstacles à surmonter, les avantages à percevoir, l’honneur à recueillir, et l’on part de là pour méditer et tenter des expériences. Que le hasard a-t-il à démêler là dedans ?

  1. Alchimistes.