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d’apprendre de la géométrie, mais non pas d’être géomètres ; d’entendre la métaphysique, mais non d’être métaphysiciens. En n’accordant le titre d’inventeur qu’à celui qui fait faire un pas de plus à la science ou par la perfection de l’instrument, ou par quelque manière de l’appliquer, et rayant par conséquent de cette classe presque tous les purs et simples soluteurs de problèmes, on trouvera que dans les sciences mathématiques, qui sont, à la vérité, les plus à la portée des esprits ordinaires, les inventeurs ne sont pas communs.

Un homme montre quelquefois plus de génie dans son erreur qu’un autre dans la découverte d’une vérité. Je vois plus de tête dans l’Harmonie préétablie de Leibnitz, ou dans son Optimisme que dans tous les ouvrages des théologiens du monde, que dans les plus grandes découvertes soit en géométrie, soit en mécanique, soit en astronomie.

La solution du problème de la quadrature du cercle, si elle est possible et qu’elle se fasse jamais, fera plus d’honneur sans doute au géomètre, mais ne mettra peut-être pas ses efforts de niveau avec les tentatives infructueuses de Grégoire de Saint-Vincent[1], ni même avec l’approximation d’Archimède.

Est-ce en se baissant pour ramasser une vérité qui était à ses pieds ou dans le circuit immense et infructueux qu’il a fait pour la rencontrer où elle n’était pas, que tel homme a montré l’étendue de son esprit ?

Si avec une sorte de justice, l’utilité n’était pas la mesure commune de notre estime et de nos éloges, l’histoire des erreurs de l’homme lui ferait peut-être autant d’honneur que celle de ses découvertes.

Indépendamment de l’utilité, il est encore un autre motif de notre admiration pour les inventeurs, c’est la difficulté, bien constatée par les travaux infructueux d’une longue suite de grands hommes au-dessus desquels l’inventeur semble s’élever par son succès. Pour le bien de l’espèce humaine, il importe qu’une vérité soit promptement découverte ; pour l’honneur de l’inventeur, il importe qu’elle ait échappé longtemps à la recherche de ses prédécesseurs. La perfection du calcul intégral hono-

  1. Opus geometricum quadraturæ circuli et sectionum coni X libris : Anvers, 1667, in-fol. Selon Montucla jamais on n’a poursuivi cet important problème avec plus de génie et d’assiduité.