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si vous en exceptez la tête. Croyez-vous qu’un homme ait de esprit sans tête ?

— Non.

— Croyez-vous que l’homme qui a l’œil mauvais puisse bien voir ?

— Non.

— Et pourquoi croyez-vous donc que la conformation de sa tête soit indifférente à sa raison ?

— C’est qu’il y a des hommes de génie à petit front, à grand front, à grosse tête, à petite tête, à tête longue et à tête ronde.

— Cela se peut ; mais vous vous en tenez là à des formes bien générales et bien grossières ; cependant j’y consens ; mais dites-moi, si quelqu’un vous présentait un livre et vous proposait de prononcer s’il est bon ou mauvais à la seule inspection de sa couverture, que lui répondriez-vous ?

— Qu’il est fou.

— Fort bien ; et pour en juger, que lui demanderiez-vous ?

— De l’ouvrir et d’en lire au moins quelques pages. Mais j’aurai beau ouvrir des têtes je n’y lirai rien.

— Et pourquoi y liriez-vous ? les caractères de ce livre vivant ne vous sont pas encore connus, peut-être ne vous le seront-ils jamais ; mais les dépositions des cinq témoins n’y sont pas moins consignées, combinées, comparées, confrontées. Je pourrais suivre cette comparaison beaucoup plus loin et en tirer une multitude de conséquences, mais c’en est assez et plus qu’il ne faut peut-être pour vous convaincre que vous avez négligé l’examen d’un organe sans lequel la condition des autres, plus ou moins parfaite, ne signifie rien, organe d’où émanent les étonnantes différences des hommes, relativement aux opérations intellectuelles.

Ne me parlez plus de hasards ; il n’y en a point d’heureux ou féconds pour les têtes étroites.

Ne me parlez point d’intérêt ; on n’en fait point concevoir de vif aux têtes apathiques.

Ne me parlez pas davantage d’attention forte et continue ; les têtes faibles en sont incapables.

Ne me parlez pas davantage de sensibilité physique, qualité qui constitue l’animal et non l’homme.

Ne me parlez pas davantage de plaisirs sensuels comme prin-