Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/344

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Cette aptitude est-elle naturelle ou acquise ?

— Elle est naturelle.

— Est-elle la même dans tous ?

— Dans tous les hommes communément bien organisés.

— Et son principe, quel est-il ?

— La sensibilité physique.

— Et la sensibilité ?

— Comme l’aptitude, dont les effets ne varient que par l’éducation, les hasards et l’intérêt.

— Et l’organisation, pourvu qu’elle ne soit pas monstrueusement viciée, n’y fait rien ?

— Rien.

— Quelle différence mettez-vous entre l’homme et la brute ?

— L’organisation.

— En sorte que si vous allongez les oreilles d’un docteur de Sorbonne, que vous le couvriez de poil et que vous tapissiez sa narine d’une grande membrane pituitaire, au lieu d’éventer un hérétique, il poursuivra un lièvre, ce sera un chien.

— Un chien !

— Oui, un chien. Et que si vous raccourcissez le nez du chien…

— J’entends le reste : assurément ce sera un docteur de Sorbonne, laissant là le lièvre et la perdrix et chassant à voix l’hérétique[1].

— Tous les chiens sont-ils également bons ?

— Non, assurément.

— Quoi ! il y en a dont ni l’instruction du piqueur, ni le châtiment, ni les hasards ne font rien qui vaille ?

— N’en doutez pas.

— Et vous ne sentez pas toutes vos inconséquences ?

— Quelles inconséquences ?

— De placer dans l’organisation la différence des deux extrêmes de la chaîne animale, l’homme et la brute ; d’employer la même cause pour expliquer la diversité d’un chien à un chien, et de la rejeter lorsqu’il s’agit des variétés d’intelligence, de sagacité, d’esprit d’un homme à un autre homme.

— Oh ! l’homme, l’homme…

— Eh bien, l’homme ?…

  1. Raisonnement déjà esquissé dans les Réflexions sur le livre de l’Esprit, ci-dessus, p. 268.