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des termes de l’autre, c’est arriver à l’erreur. Il n’en est pas ainsi de l’examen particulier de chacun d’eux, considéré relativement à son objet.

Tout étant égal d’ailleurs, celui qui a le palais obtus ne sera pas aussi bon cuisinier que celui qui l’a délicat.

Le myope sera moins bon observateur des astres, moins bon peintre, moins bon statuaire, moins bon juge d’un tableau que celui qui a la vue excellente.

Si votre enfant manque d’odorat, il mourra de faim dans la boutique d’un parfumeur.

S’il n’a pas le toucher exquis, il ne tournera jamais également un petit pivot, et Romilly[1] vous le renverra.

Quel plaisir voulez-vous qu’il prenne, quelle perfection voulez-vous qu’il atteigne dans l’art d’imiter la nature par les sons, s’il a le tympan racorni et l’oreille dure ou fausse ? Il bâillera à l’Opéra.

Il a ses cinq sens excellents, mais la tête est mal organisée : les témoins sont fidèles, mais le juge est corrompu ; il ne sera jamais qu’un sot.

Page 137. — Comment, monsieur Helvétius, le choix du lait n’est pas indifférent dans l’enfance, et celui des aliments l’est dans l’âge adulte !

La différence de la latitude[2] n’a aucune influence sur les esprits.

Je n’en crois rien, ne fût-ce que par la raison que toute cause a son effet, et que toute cause constante, quelque petite qu’elle soit, produit un grand effet avec le temps. Si elle parvient à constituer l’esprit ou le caractère national, c’est beaucoup, surtout relativement à la culture des beaux-arts où la différence du bon à l’excellent n’est pas de l’épaisseur d’un cheveu.

Ces assertions générales sur le ciel, le climat, les saisons, les aliments sont trop vagues, pour devenir décisives dans une matière aussi délicate.

Croit-on qu’il soit indifférent aux habitants d’une contrée, à leur manière de se nourrir, de se vêtir, de s’occuper, de sentir, de penser, d’être humide ou sèche, couverte de forêts ou

  1. Célèbre horloger, Suisse d’origine, établi à Paris.
  2. « Et de la nourriture. » De l’Homme.