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biale, nés du bois dont on fait les vielles, c’est-à-dire propres à tout et bons à rien !

L’avarice est le vice des vieillards, et il y a des enfants avares. J’ai vu deux frères dans la première enfance, l’un donnant tout, l’autre serrant tout, et tous les deux journellement exposés sans effet à la réprimande contradictoire de leurs parents : l’aîné est resté dissipateur, le cadet avare.

Le prince de Galitzin[1] a deux enfants, un petit garçon bon, doux, simple ; une petite fille rusée, fine et tendant à ses vues, toujours par des voies détournées. Leur mère en est désolée ; jusqu’à présent il n’y a rien qu’elle n’ait fait pour donner de la franchise à sa petite fille, sans avoir réussi. D’où naît la différence de ces deux enfants à peine âgés de quatre ans et tous les deux également élevés et soignes par leurs parents ? Que Mimi se corrige ou ne se corrige pas, jamais Dimitri son frère ne se tirera comme elle des intrigues de la cour. La leçon du maître n’équivaudra jamais à la leçon de nature[2].]

Sans aucun besoin ni de richesse, ni de plaisirs sensuels, Helvétius compose et publie son premier ouvrage. On sait toutes les persécutions qu’il essuya. Au milieu d’un orage qui fut violent et qui dura longtemps, il s’écriait : « J’aimerais mieux mourir que d’écrire encore une ligne. » Je l’écoutais et je lui dis : « J’étais un jour à ma fenêtre ; j’entends un grand bruit sur les tuiles qui n’en sont pas éloignées. Un moment après, deux chats tombent dans la rue : l’un reste mort sur la place ; l’autre, le ventre meurtri, les pattes froissées et le museau ensanglanté, se traîne au pied d’un escalier, et là il se disait : « Je veux mourir si je remonte jamais sur les tuiles. Que vais-je chercher là ? une souris qui ne vaut pas le morceau friand que je puis ou recevoir sans péril de la main de ma maîtresse ou voler à son cuisinier ; une chatte qui me viendra chercher sous la remise, si je sais l’y attendre ou l’y appeler… » Je ne sais jusqu’où il poussa cette philosophie ; mais tandis qu’il se livrait à ces réflexions assez sages, la douleur de sa chute se dissipe, il se tâte, il se lève, il met deux pattes sur le premier degré de l’escalier, et voilà mon chat sur le même

  1. Diderot logeait chez ce prince quand il écrivait cette Réfutation.
  2. Tout le passage entre crochets ne se trouve pas dans les Mémoires de Naigeon.