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il se résolve à perdre sa vie dans la dissipation, l’abondance, les plaisirs, la jouissance de tous ces biens physiques qu’il poursuit à son insu et par une voie si pénible et si ridicule ; vous ne le déterminerez pas plus qu’un hibou à se faire oiseau de jour, ou un aigle à se faire oiseau de nuit.

C’est qu’il est un principe qui a échappé à l’auteur, et ce principe, c’est que la raison de l’homme est un instrument qui correspond à toute la variété de l’instinct animal ; que la race humaine rassemble les analogues de toutes les sortes d’animaux ; et qu’il n’est non plus possible de tirer un homme de sa classe qu’un animal de la sienne, sans les dénaturer l’un et l’autre, et sans se fatiguer beaucoup pour n’en faire que deux sottes bêtes. J’accorde que l’homme combine des idées, ainsi que le poisson nage et l’oiseau vole ; mais chaque homme est entraîné par son organisation, son caractère, son tempérament, son aptitude naturelle à combiner de préférence telles et telles idées plutôt que telles ou telles autres. Le hasard et plus encore les besoins de la vie disposent de nous à leur gré ; qui le sait mieux que moi ? C’est la raison pour laquelle pendant environ trente ans de suite, contre mon goût, j’ai fait l’Encyclopédie et n’ai fait que deux pièces de théâtre. C’est la raison pour laquelle les talents sont déplacés et les états de la société remplis d’hommes malheureux ou de sujets médiocres, et que celui qui aurait été un grand artiste, n’est qu’un pauvre sorbonniste ou un plat jurisconsulte. Et voilà la véritable histoire de la vie, et non toutes ces suppositions sophistiques où je remarque beaucoup de sagacité sans nulle vérité ; des détails charmants et des conséquences absurdes ; et toujours le portrait de l’auteur proposé comme le portrait de l’homme.

[Toutes ces assertions d’Helvétius que signifient-elles ? Qu’il était né voluptueux, et qu’en circulant dans le monde, il s’était souvent heurté contre des personnels et des fripons.

Et de ce que je viens de dire, que conclure ? Qu’on n’aime pas toujours la gloire, la richesse et les honneurs, comme la monnaie qui paiera les plaisirs sensuels. L’auteur en convient des vieillards. Et pourquoi un jeune homme communément organisé ne naîtrait-il pas avec les dispositions aux travers, aux vertus, aux vices de l’âge avancé ?

Combien d’enfants, pour me servir de l’expression prover-