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Je ne prétends pas qu’il en soit toujours ainsi ; mais pour détruire le paradoxe d’Helvétius, il suffit que ce cas soit fréquent.

Je vais plus loin : je propose à Helvétius d’interroger tous les maîtres de Paris, et s’il s’en trouve un seul qui soit de son avis, je baisse la tête et je me tais.

Mais si l’on fait des enfants tout ce qu’on veut, pourquoi Helvétius n’a-t-il pas fait de sa fille aînée ce que Nature a fait de sa fille cadette[1] ? Il faut qu’il ait été bien entêté de son système pour avoir tenu ferme contre une démonstration journalière et domestique de sa fausseté.


CHAPITRE II.


Page 88. — L’âme est un principe de vie à la connaissance et à la nature duquel on ne s’élève point sans les ailes de la théologie.

Et avec ces belles ailes de chauve-souris à quoi s’élève-t-on ? À rien ; on circule dans les ténèbres. Et pourquoi gâter un ouvrage avec ces flagorneries-là ? La postérité ne vous entendra pas, et les théologiens vos contemporains ne vous en aimeront pas davantage.

Page ibid.M. Robinet… S’il est l’auteur de l’ouvrage De la Nature publié sous son nom, j’ai ouï dire à quelques-uns de nos philosophes qu’il ne l’entendait pas.

Page 90. — L’homme doit à la mémoire ses idées et son esprit.

Et sa mémoire, grande ou petite, ingrate ou fidèle, tenace ou passagère, à quoi la doit-il ? N’est-il pas d’expérience qu’on n’a jamais réussi à en donner jusqu’à un certain degré à des enfants qui en manquaient ? N’est-il pas d’expérience que rien n’est si variable entre les hommes ? Voilà donc pour quelques-uns une barrière insurmontable dans la carrière des arts et des sciences, et une très-grande inégalité dans l’aptitude naturelle de tous, soit à l’acquisition des idées, soit à la formation de l’esprit.

  1. Ces deux filles inégalement douées eurent cependant à peu près le même sort. Elles épousèrent, l’aînée, le comte de Mun, dont le fils fut pair de France sous la Restauration ; la cadette, le comte d’Andlau.