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dans la sensation. Dites par Hobbes, qui longtemps avant Locke avait déduit, dans son petit et sublime Traité de la nature humaine, du principe d’Aristote presque toutes les conséquences qu’on en pouvait tirer.

Page 83. — Cependant si des expériences contraires prouvaient que la supériorité de l’esprit n’est point proportionnée à la plus ou moins grande perfection des cinq sens, c’est dans une autre cause qu’on serait forcé de chercher l’explication de ce phénomène.

Lorsque je vois un homme d’esprit devenu stupide à la suite d’un violent accès de fièvre, et, réciproquement, un sot penser et parler, dans le délire, comme un homme d’esprit ; lorsque j’en vois un autre perdre la raison et le sens commun par une chute, par une contusion à la tête, tous ses autres organes étant restés dans un état sain : puis-je m’empêcher d’en conclure que la perfection des opérations intellectuelles dépend principalement de la conformation du cerveau et du cervelet ? et puis-je douter de la certitude de ma conclusion, lorsque je compare les progrès de l’esprit avec le développement des organes dans les différents âges de l’homme ?

Page 84. — Locke aperçoit entre les esprits moins de différence qu’on ne pense.

Mais moins de différence n’est pas nulle différence, et je croirai aussi tôt qu’on pourra donner à l’animal appelé le Paresseux, l’agilité du singe ou la vivacité de l’écureuil, qu’à l’homme lourd et pesant le caractère de l’homme vif.

Je crois, dit Locke, pouvoir assurer que de cent hommes, il y en a plus de quatre-vingt-dix qui sont ce qu’ils sont, bons ou mauvais, utiles ou nuisibles à la société, par l’instruction qu’ils ont reçue.

Locke dit bons ou méchants, il ne dit pas ingénieux ou stupides.

Quand la bonté et la méchanceté tiendraient autant à l’organisation que le génie et la stupidité, il ne faudrait pas les confondre, non plus que les dispositions intérieures et les actions. Je m’explique.

Un homme naturellement méchant a senti par l’expérience et la réflexion les inconvénients de la méchanceté ; il reste méchant et fait le bien.