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votre souffle pourra susciter de la flamme, mais il faut que la première étincelle y soit.

En vérité toute cette sublime extravagance d’Helvétius aurait fourni une excellente scène à Molière, le pendant de celle du Pvrrhonien[1] : « Sans passion, point de besoins, point de désirs ; sans besoins et sans désirs, point d’esprit, point de raison ; » c’est Helvétius qui le dit. Mais qu’il nous apprenne donc comme l’éducation ou des accidents pourront créer une passion vraie dans celui à qui la nature l’a refusée. J’aimerais autant assurer qu’on inspirera la fureur des femmes à un eunuque : et combien d’hommes que la nature a châtrés ! les uns manquent de testicules pour une chose, d’autres en manquent pour une autre. Il faut que chacun s’accouple avec la Muse qui lui convient, la seule avec laquelle il se sent et se retrouve ; il est nul ou n’a qu’une fausse érection avec les autres : elles en seraient mal caressées.

À l’entendre, on dirait qu’on n’a qu’à vouloir pour être. Que cela n’est-il vrai !

Page 72[2]. — Les femmes devraient concevoir tant de vénération pour leur beauté et leurs faveurs, qu’elles crussent n’en devoir faire part qu’aux hommes déjà distingués par leur génie, leur courage et leur probité.

Idée platonique, vision contraire à la nature. Il faut qu’elles couronnent un vieux héros, mais il faut qu’elles couchent avec un jeune homme. La gloire et le plaisir sont deux choses fort diverses.

Par ce moyen leurs faveurs deviendraient un encouragement aux talents et aux vertus[3]. — D’accord ; mais la propagation de l’espèce, que deviendrait-elle ?

Toutes les fois qu’on invente un moyen de s’honorer, si ce moyen est contraire à la nature, il arrive toujours qu’on n’a réussi qu’à étendre la voie du déshonneur.

Voulez-vous avoir bien des femmes déshonorées ? honorez celles qui se jetteront[4] sur le bûcher de leurs maris. N’en avez-

  1. Marphurius, dans le Mariage forcé, le double de Trouillogan du Pantagruel de Rabelais.
  2. Note du chapitre x.
  3. La fin du chapitre a été citée par Naigeon.
  4. Variante. Qui se jettent. (Naigeon.)