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occupé trop longtemps et avec trop peu de fruit les meilleurs esprits ; ou l’on n’a point étudié ce qu’il importait de savoir, ou l’on n’a mis ni choix, ni vues, ni méthode dans ses études ; les mots se sont multipliés sans fin, et la connaissance des choses est restée en arrière.


XVIII.


La véritable manière de philosopher, c’eût été et ce serait d’appliquer l’entendement à l’entendement ; l’entendement et l’expérience aux sens ; les sens à la nature ; la nature à l’investigation des instruments ; les instruments à la recherche et à la perfection des arts, qu’on jetterait au peuple pour lui apprendre à respecter la philosophie.


XIX.


Il n’y a qu’un seul moyen de rendre la philosophie vraiment recommandable aux yeux du vulgaire ; c’est de la lui montrer accompagnée de l’utilité. Le vulgaire demande toujours : à quoi cela sert-il ? et il ne faut jamais se trouver dans le cas de lui répondre : à rien ; il ne sait pas que ce qui éclaire le philosophe et ce qui sert au vulgaire sont deux choses fort différentes, puisque l’entendement du philosophe est souvent éclairé parce qui nuit, et obscurci par ce qui sert.


XX.


Les faits, de quelque nature qu’ils soient, sont la véritable richesse du philosophe. Mais un des préjugés de la philosophie rationnelle, c’est que celui qui ne saura pas nombrer ses écus, ne sera guère plus riche que celui qui n’aura qu’un écu. La philosophie rationnelle s’occupe malheureusement beaucoup plus à rapprocher et à lier les faits qu’elle possède, qu’à en recueillir de nouveaux.


XXI.


Recueillir et lier les faits, ce sont deux occupations bien pénibles ; aussi les philosophes les ont-ils partagées entre eux. Les uns passent leur vie à rassembler des matériaux, manœuvres