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mêmes dont ils sont dégoûtés ?… De l’esprit, de la probité, des passions, M. Helvétius passe à ce que ces qualités deviennent sous différents gouvernements, et surtout sous le despotisme. Il n’a manqué à l’auteur que de voir le despotisme comme une bête assez hideuse pour donner à ces chapitres plus de coloris et de force. Quoique remplis de vérités hardies, ils sont un peu languissants.

Le quatrième discours de M. Helvétius considère l’esprit sous ses différentes faces : c’est ou le génie, ou le sentiment, ou l’imagination, ou l’esprit proprement dit, ou l’esprit fin, ou l’esprit fort, ou le bel esprit, ou le goût, ou l’esprit juste, ou l’esprit de société, ou l’esprit de conduite, ou le bon sens, etc. D’où l’auteur passe à l’éducation et au genre d’étude qui convient selon la sorte d’esprit qu’on a reçue… Il est aisé de voir que la base de cet ouvrage est posée sur quatre grands paradoxes… La sensibilité est une propriété générale de la matière. Apercevoir, raisonner, juger, c’est sentir : premier paradoxe… Il n’y a ni justice, ni injustice absolue. L’intérêt général est la mesure de l’estime des talents, et l’essence de la vertu : second paradoxe… C’est l’éducation et non l’organisation qui fait la différence des hommes ; et les hommes sortent des mains de la nature, tous presque également propres à tout : troisième paradoxe… Le dernier but des passions sont les biens physiques : quatrième paradoxe… Ajoutez à ce fonds une multitude incroyable de choses sur le culte public, les mœurs et le gouvernement ; sur l’homme, la législation et l’éducation ; et vous connaîtrez toute la matière de cet ouvrage. Il est très-méthodique ; et c’est un de ses défauts principaux : premièrement, parce que la méthode, quand elle est d’appareil, refroidit, appesantit et ralentit ; secondement, parce qu’elle ôte à tout l’air de liberté et de génie ; troisièmement, parce qu’elle a l’aspect d’argumentation ; quatrièmement, et cette raison est particulière à l’ouvrage, c’est qu’il n’y a rien qui veuille être prouvé avec moins d’affectation, plus dérobé, moins annoncé qu’un paradoxe. Un auteur paradoxal ne doit jamais dire son mot, mais toujours ses preuves : il doit entrer furtivement dans l’âme de son lecteur, et non de vive force. C’est le grand art de Montaigne, qui ne veut jamais prouver, et qui va toujours prouvant, et me ballottant du blanc au noir, et du noir au blanc. D’ailleurs, l’appareil