Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/281

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pu faire un stupide, en dépit de la plus heureuse organisai ion. C’est son troisième paradoxe. Credat judæus Apella… L’auteur est obligé ici d’apprécier toutes les qualités de l’âme, considérées dans un homme relativement à un autre ; ce qu’il fait avec beaucoup de sagacité : et quelque répugnance qu’on ait à recevoir un paradoxe aussi étrange que le sien, on ne le lit pas sans se sentir ébranlé… Le faux de tout ce discours me paraît tenir à plusieurs causes, dont voici les principales : 1o l’auteur ne sait pas, ou paraît ignorer la différence prodigieuse qu’il a entre les effets (quelque légère que soit celle qu’il y a entre les causes), lorsque les causes agissent longtemps et sans cesse ; 2o il n’a pas considéré ni la variété des caractères, l’un froid, l’autre lent ; l’un triste, l’autre mélancolique, gai, etc. ; ni l’homme dans ses différents âges ; dans la santé et dans la maladie ; dans le plaisir et dans la peine ; en un mot, combien il diffère de lui-même en mille circonstances où il survient le plus léger dérangement dans l’organisation. Une légère altération dans le cerveau réduit l’homme de génie à l’état d’imbécillité. Que fera-t-il de cet homme, si l’altération, au lieu d’être accidentelle et passagère, est naturelle ? 3o il n’a pas vu qu’après avoir fait consister toute la différence de l’homme à la bête dans l’organisation, c’est se contredire que de ne pas faire consister aussi toute la différence de l’homme de génie à l’homme ordinaire dans la même cause. En un mot, tout le troisième discours me semble un faux calcul, où l’on n’a fait entrer ni tous les éléments, ni les éléments qu’on a employés, pour leur juste valeur. On n’a pas vu la barrière insurmontable qui sépare l’homme que la nature a destiné à quelque fonction, de l’homme qui n’y apporte que du travail, de l’intérêt, de l’attention, des passions… Ce discours, faux dans le fond, est rempli de beaux détails sur l’origine des passions, sur leur énergie, sur l’avarice, sur l’ambition, l’orgueil, l’amitié, etc… L’auteur avance, dans le même discours, sur le but des passions, un quatrième paradoxe ; c’est que le plaisir physique est le dernier objet qu’elles se proposent ; ce que je crois faux encore. Combien d’hommes qui, après avoir épuisé dans leur jeunesse tout le bonheur physique qu’on peut espérer des passions, deviennent les uns avares, les autres ambitieux, les autres amoureux de la gloire ! Dira-t-on qu’ils ont en vue, dans leur passion nouvelle, ces biens