Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/280

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pays, et à l’univers entier. Dans tous ces rapports, l’intérêt est toujours la mesure du cas qu’on en fait. C’est même cet intérêt qui la constitue : en sorte que l’auteur n’admet point de justice ni d’injustice absolue. C’est son second paradoxe… Ce paradoxe est faux en lui-même, et dangereux à établir : faux parce qu’il est possible de trouver dans nos besoins naturels, dans notre vie, dans notre existence, dans notre organisation et notre sensibilité qui nous exposent à la douleur, une base éternelle du juste et de l’injuste, dont l’intérêt général et particulier fait ensuite varier la notion en cent mille manières différentes. C’est, à la vérité, l’intérêt général et particulier qui métamorphose l’idée de juste et d’injuste ; mais son essence en est indépendante. Ce qui paraît avoir induit notre auteur en erreur, c’est qu’il s’en est tenu aux faits qui lui ont montré le juste ou l’injuste sous cent mille formes opposées, et qu’il a fermé les yeux sur la nature de l’homme, où il en aurait reconnu les fondements et l’origine… Il me paraît n’avoir pas eu une idée exacte de ce qu’on entend par la probité relative à tout l’univers. Il en a fait un mot vide de sens : ce qui ne lui serait point arrivé, s’il eût considéré qu’en quelque lieu du monde que ce soit, celui qui donne à boire à l’homme qui a soif, et à manger à celui qui a faim, est un homme de bien ; et que la probité relative à l’univers n’est autre chose qu’un sentiment de bienfaisance qui embrasse l’espèce humaine en général ; sentiment qui n’est ni faux ni chimérique… Voilà l’objet et l’analyse du discours, où l’auteur agite encore, par occasion, plusieurs questions importantes, telles que celles des vraies et des fausses vertus, du bon ton, du bel usage, des moralistes, des moralistes hypocrites, de l’importance de la morale, des moyens de la perfectionner.

L’objet de son troisième discours, c’est l’esprit considéré, ou comme un don de la nature, ou comme un effet de l’éducation. Ici, l’auteur se propose de montrer que, de toutes les causes par lesquelles les hommes peuvent différer entre eux, l’organisation est la moindre ; en sorte qu’il n’y a point d’homme en qui la passion, l’intérêt, l’éducation, les hasards n’eussent pu surmonter les obstacles de la nature, et en faire un grand homme ; et qu’il n’y a pas non plus un grand homme, dont le défaut de passion, d’intérêt, d’éducation et de certains hasards n’eussent