Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/279

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Il est ici fort court et fort serré ; et il n’est pas difficile de deviner pourquoi. Il en a assez pour mettre un bon esprit sur la voie, et pour faire jeter les hauts cris à ceux qui nous jettent de la poussière aux yeux par état… Il applique ce qu’il pense des erreurs de la passion à l’esprit de conquête et à l’amour de la réputation ; et en faisant raisonner deux hommes à qui ces deux passions ont troublé le jugement, il montre comment les passions nous égarent en général. Ce chapitre est encore fourré d’historiettes agréables, et d’autres traits hardis et vigoureux. Il y a un certain prêtre égyptien qui gourmande très-éloquemment quelques incrédules, de ce qu’ils ne voient dans le bœuf Apis qu’un bœuf ; et ce prêtre ressemble à beaucoup d’autres… Voilà en abrégé l’objet et la matière du premier discours. Il en a trois autres dont nous parlerons dans la suite.

Après avoir considéré l’esprit en lui-même, M. Helvétius le considère par rapport à la société. Selon lui, l’intérêt général est la mesure de l’estime que nous faisons de l’esprit, et non la difficulté de l’objet ou l’étendue des lumières. Il en pouvait citer un exemple bien frappant. Qu’un géomètre place trois points sur son papier ; qu’il suppose que ces trois points s’attirent tous les trois dans le rapport inverse du carré des distances, et qu’il cherche ensuite le mouvement et la trace de ces trois points. Ce problème résolu, il le lira dans quelques séances d’Académie : on l’écoutera ; on imprimera sa solution dans un recueil ou elle sera confondue avec mille autres, et oubliée ; et à peine en sera-t-il question ni dans le monde, ni entre les savants. Mais si ces trois points viennent à représenter les trois corps principaux de la nature ; que l’un s’appelle la terre, l’autre, la lune, et le troisième le soleil ; alors la solution du problème des trois points représentera la loi des corps célestes : le géomètre s’appellera Newton ; et sa mémoire vivra éternellement parmi les hommes. Cependant que les trois points ne soient que trois points, ou que ces trois points représentent trois corps célestes, la sagacité est la même, mais l’intérêt est tout autre, et la considération publique aussi. Il faut porter le même jugement de la probité. L’auteur la considère en elle-même, ou relativement à un particulier, à une petite société, à une nation, à différents siècles, à différents