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reconnaît de différence entre l’homme et la bête, que celle de l’organisation. Ainsi, allongez à un homme le museau ; figurez-lui le nez, les yeux, les dents, les oreilles comme à un chien ; couvrez-le de poils ; mettez-le à quatre pattes ; et cet homme, fût-il un docteur de Sorbonne, ainsi métamorphosé, fera toutes les fonctions du chien ; il aboiera, au lieu d’argumenter ; il rongera des os, au lieu de résoudre des sophismes ; son activité principale se ramassera vers l’odorat ; il aura presque toute son âme dans le nez ; et il suivra un lapin ou un lièvre à la piste, au lieu d’éventer un athée ou un hérétique… D’un autre côté, prenez un chien ; dressez-le sur les pieds de derrière, arrondissez-lui la tête, raccourcissez-lui le museau, ôtez-lui le poil et la queue, et vous en ferez un docteur, réfléchissant profondément sur les mystères de la prédestination et de la grâce… Si l’on considère qu’un homme ne diffère d’un autre homme que par l’organisation, et ne diffère de lui-même que par la variété qui survient dans les organes ; si on le voit balbutiant dans l’enfance, raisonnant dans l’âge mûr, et balbutiant derechef dans la vieillesse ; ce qu’il est dans l’état de santé et de maladie, de tranquillité et de passion, on ne sera pas éloigné de ce système… En considérant l’esprit relativement à l’erreur et à la vérité, M. Helvétius se persuade qu’il n’y a point d’esprit faux. Il rapporte tous nos jugements erronés à l’ignorance, à l’abus des mots et à la fougue des passions… Si un homme raisonne mal, c’est qu’il n’a pas les données pour raisonner mieux. Il n’a pas considéré l’objet sous toutes ses faces. L’auteur fait l’application de ce principe au luxe, sur lequel on a tant écrit pour et contre. Il fait voir que ceux qui l’ont défendu avaient raison, et que ceux qui l’ont attaqué avaient aussi raison dans ce qu’ils disaient les uns et les autres. Mais ni les uns ni les autres n’en venaient à la comparaison des avantages et des désavantages, et ne pouvaient former un résultat, faute de connaissances. M. Helvétius résout cette grande question ; et c’est un des plus beaux endroits de son livre… Ce qu’il dit de l’abus des mots est superficiel, mais agréable. En général, c’est le caractère principal de l’ouvrage, d’être agréable à lire dans les matières les plus sèches, parce qu’il est semé d’une infinité de traits historiques qui soulagent. L’auteur fait l’application de l’abus des mots à la matière, au temps et à l’espace.