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coupent les lacets de son vêtement qui la serre. La nuit vient ; elle entend les chœurs célestes ; sa voix s’unit à leurs concerts. Ensuite elle redescend sur la terre ; elle parle de joies ineffables ; on l’écoute ; elle est convaincue ; elle persuade. La femme dominée par l’hystérisme éprouve je ne sais quoi d’infernal ou de céleste. Quelquefois, elle m’a fait frissonner. C’est dans la fureur de la bête féroce[1] qui fait partie d’elle-même, que je l’ai vue, que je l’ai entendue. Comme elle sentait ! comme elle s’exprimait ! Ce qu’elle disait n’était point d’une mortelle. La Guyon a, dans son livre des Torrents[2], des lignes d’une éloquence dont il n’y a point de modèles. C’est sainte Thérèse qui a dit des démons : Qu’ils sont malheureux ! ils n’aiment point. Le quiétisme est l’hypocrisie de l’homme pervers, et la vraie religion de la femme tendre. Il y eut cependant un homme d’une honnêteté de caractère et d’une simplicité de mœurs si rares, qu’une femme aimable put, sans conséquence, s’oublier à côté de lui et s’épancher en Dieu ; mais cet homme fut le seul ; et il s’appelait Fénelon. C’est une femme qui se promenait dans les rues d’Alexandrie, les pieds nus, la tête échevelée, une torche dans une main, une aiguière dans l’autre, et qui disait : Je veux brûler le ciel avec cette torche, et éteindre l’enfer avec cette

  1. « La coquette a envie d’avoir A pour ami, B pour amant, C pour mari. Le premier a pour lui la confiance, le second la passion, le troisième la vanité ; elle essaiera de A, se dégoûtera de B et gardera C. A règne sur le cœur, G sur la tête, et B sur ce mobile interne que les médecins appellent le plexus nerveux, que votre Diderot a nommé la bête féroce, et que nous autres savants, nous regardons comme remplaçant dans la mécanique de la femme la machine à vapeurs. » Récit exact de ce qui s’est passé à la séance de la Société des Observateurs de la Femme, le mardi 2 novembre 1802. Dans cette spirituelle parodie des faits et gestes de la Société des Observateurs de l’Homme, Lemontey, parlant de la décoration de la salle où se tenait la séance, dit qu’elle était décorée des « bustes de trois philosophes qui avaient particulièrement médité sur la femme : Thomas, Rousseau et Diderot. Le premier avait l’air de lire, le second de rêver, et le troisième de prêcher. La même variété se retrouvait dans les matières que le sculpteur avait employées : Thomas était en plâtre verni, Rousseau en bronze doré, et Diderot en lave brute. » Cette appréciation nous paraît aussi juste qu’ingénieuse.
  2. Mme Guyon, quiétiste célèbre du xviie siècle, qui séduisit, jusqu’à Fénelon, a été étudiée par M. Matter dans son livre le Mysticisme en France au temps de Fénelon Paris, Didier, 1866, in-18. Ses rêveries ont été publiées d’abord par fragments. Le traité des Torrents (spirituels), qui avait longtemps couru manuscrit, fut imprimé, pour la première fois, dans l’édition des Opuscules spirituels, Cologne, 1704, in-12. En 1790 on donna une édition complète des Œuvres de Mme Guyon, en quarante volumes in-8o, Paris, chez les libraires associés.