Qu’on vous fasse régner, tout vous paraîtra juste ;
Mais vous mépriseriez l’amant le plus auguste,
S’il ne sacrifiait au pouvoir de vos yeux
Son honneur, son devoir, la justice et les dieux[1].
Elles simuleront l’ivresse de la passion, si elles ont un grand
intérêt à vous tromper ; elles l’éprouveront, sans s’oublier. Le
moment où elles seront tout à leur projet sera quelquefois
celui même de leur abandon. Elles s’en imposent mieux que
nous sur ce qui leur plaît. L’orgueil est plus leur vice que le
nôtre. Une jeune femme Samoïède dansait nue, avec un poignard
à la main. Elle paraissait s’en frapper ; mais elle esquivait aux
coups qu’elle se portait avec une prestesse si singulière, qu’elle
avait persuadé à ses compatriotes que c’était un dieu qui la rendait invulnérable ; et voilà sa personne sacrée. Quelques voyageurs européens assistèrent à cette danse religieuse ; et, quoique
bien convaincus que cette femme n’était qu’une saltimbanque très-adroite, elle trompa leurs yeux par la célérité de ses mouvements. Le lendemain, ils la supplièrent de danser encore une
fois. Non, leur dit-elle, je ne danserai point ; le dieu ne le veut pas ; et je me blesserais. On insista. Les habitants de la contrée
joignirent leur vœu à celui des Européens. Elle dansa. Elle fut
démasquée. Elle s’en aperçut ; et à l’instant la voilà étendue à
terre, le poignard dont elle était armée plongé dans ses intestins. Je l’avais bien prévu, disait-elle à ceux qui la secouraient, que le dieu ne le voulait pas, et que je me blesserais. Ce qui me surprend, ce n’est pas qu’elle ait préféré la mort à la honte,
c’est qu’elle se soit laissé guérir. Et de nos jours, n’avons-nous
pas vu une de ces femmes qui figuraient en bourrelet l’enfance
de l’Église, les pieds et les mains cloués sur une croix[2], le côté percé d’une lance, garder le ton de son rôle au milieu des convulsions de la douleur, sous la sueur froide qui découlait de ses membres, les yeux obscurcis du voile de la mort, et s’adressant au directeur de ce troupeau de fanatiques, lui dire, non d’une voix souffrante : Mon père, je veux dormir, mais d’une