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imiter la sottise d’un éditeur[1] des Essais, qui ne pouvait entendre le nom de Montaigne sans rougir. Une grande leçon qu’on a souvent occasion de donner, c’est l’aveu de son insuffisance. Ne vaut-il pas mieux se concilier la confiance des autres, par la sincérité d’un je n’en sais rien, que de balbutier des mots, et se faire pitié à soi-même, en s’efforçant de tout expliquer ? Celui qui confesse librement qu’il ne sait pas ce qu’il ignore, me dispose à croire ce dont il entreprend de me rendre raison.


XI.


L’étonnement vient souvent de ce qu’on suppose plusieurs prodiges où il n’y en a qu’un ; de ce qu’on imagine, dans la nature, autant d’actes particuliers qu’on nombre de phénomènes, tandis qu’elle n’a peut-être jamais produit qu’un seul acte. Il semble même que, si elle avait été dans la nécessité d’en produire plusieurs, les différents résultats de ces actes seraient isolés ; qu’il y aurait des collections de phénomènes indépendantes les unes des autres, et que cette chaîne générale, dont la philosophie suppose la continuité, se romprait en plusieurs endroits. L’indépendance absolue d’un seul fait est incompatible avec l’idée de tout ; et sans l’idée de tout, plus de philosophie.


XII.


Il semble que la nature se soit plue à varier le même mécanisme d’une infinité de manières différentes[2]. Elle n’abandonne un genre de productions qu’après en avoir multiplié les individus sous toutes les faces possibles. Quand on considère le règne animal, et qu’on s’aperçoit que, parmi les quadrupèdes, il n’y en a pas un qui n’ait les fonctions et les parties, surtout intérieures, entièrement semblables à un autre quadrupède, ne croirait-on pas volontiers qu’il n’y a jamais eu qu’un premier

  1. Coste ( ?) qui avait, en effet, beaucoup mis du sien dans les notes de son édition de Montaigne. (Londres, 1724.)
  2. Voyez l’Histoire naturelle (de Buffon), Histoire de l’Âne ; et un petit ouvrage latin, intitulé : Dissertatio inauguralis metaphysica, de universali naturæ systemate, pro gradu doctoris habita, imprimé à Erlangen en 1751, et apporté en France par M. de M… (Maupertuis) en 1753. (Diderot.) Goethe, dans ses travaux d’histoire naturelle, a, comme Geoffroy Saint-Hilaire, développé ce point de vue.