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rence des idées de la beauté dans une contrée où l’on rapporte les formes au plaisir d’un moment, et chez un peuple où elles sont appréciées d’après une utilité plus constante. Là, pour être belle, on exige un teint éclatant, un grand front, de grands yeux, les traits fins et délicats, une taille légère, une petite bouche, de petites mains, un petit pied… Ici, presque aucun de ces éléments n’entre en calcul. La femme sur laquelle les regards s’attachent et que le désir poursuit, est celle qui promet beaucoup d’enfants (la femme du cardinal d’Ossat), et qui les promet actifs, intelligents, courageux, sains et robustes. Il n’y a presque rien de commun entre la Vénus d’Athènes et celle de Taïti ; l’une est Vénus galante, l’autre est Vénus féconde. Une Taïtienne disait un jour avec mépris à une autre femme du pays : « Tu es belle, mais tu fais de laids enfants ; je suis laide, mais je fais de beaux enfants, et c’est moi que les hommes préfèrent. »

Après cette note de l’aumônier, Orou continue :

OROU.

L’heureux moment pour une jeune fille et pour ses parents, que celui où sa grossesse est constatée ! Elle se lève ; elle accourt ; elle jette ses bras autour du cou de sa mère et de son père ; c’est avec des transports d’une joie mutuelle, qu’elle leur annonce et qu’ils apprennent cet événement. Maman ! mon papa ! embrassez-moi ; je suis grosse ! — Est-il bien vrai ? — Très-vrai. — Et de qui l’êtes-vous ? — Je le suis d’un tel…

L’AUMÔNIER.

Comment peut-elle nommer le père de son enfant ?

OROU.

Pourquoi veux-tu qu’elle l’ignore ? Il en est de la durée de nos amours comme de celle de nos mariages ; elle est au moins d’une lune à la lune suivante.

L’AUMÔNIER.

Et cette règle est bien scrupuleusement observée ?

OROU.

Tu vas en juger. D’abord, l’intervalle de deux lunes n’est pas long ; mais lorsque deux pères ont une prétention bien fondée à la formation d’un enfant, il n’appartient plus à sa mère.

L’AUMÔNIER.

À qui appartient-il donc ?