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menses, resserré et immobile dans une enceinte assez étroite, vous le verrez faisant le tour du globe sur une planche, comme vous et moi le tour de l’univers sur votre parquet.

A. Une autre bizarrerie apparente, c’est la contradiction du caractère de l’homme et de son entreprise. Bougainville a le goût des amusements de la société ; il aime les femmes, les spectacles, les repas délicats ; il se prête au tourbillon du monde d’aussi bonne grâce qu’aux inconstances de l’élément sur lequel il a été ballotté. Il est aimable et gai : c’est un véritable Français lesté, d’un bord, d’un traité de calcul différentiel et intégral, et de l’autre, d’un voyage autour du globe.

B. Il fait comme tout le monde : il se dissipe après s’être appliqué, et s’applique après s’être dissipé.

A. Que pensez-vous de son Voyage ?

B. Autant que j’en puis juger sur une lecture assez superficielle, j’en rapporterais l’avantage à trois points principaux : une meilleure connaissance de notre vieux domicile et de ses habitants ; plus de sûreté sur des mers qu’il a parcourues la sonde à la main, et plus de correction dans nos cartes géographiques. Bougainville est parti avec les lumières nécessaires et les qualités propres à ces vues : de la philosophie, du courage, de la véracité ; un coup d’œil prompt qui saisit les choses et abrège le temps des observations ; de la circonspection, de la patience ; le désir de voir, de s’éclairer et de s’instruire ; la science du calcul, des mécaniques, de la géométrie, de l’astronomie ; et une teinture suffisante d’histoire naturelle.

A. Et son style ?

B. Sans apprêt ; le ton de la chose, de la simplicité et de la clarté, surtout quand on possède la langue des marins.

A. Sa course a été longue ?

B. Je l’ai tracée sur ce globe. Voyez-vous cette ligne de points rouges ?

A. Qui part de Nantes ?

B. Et court jusqu’au détroit de Magellan, entre dans la mer Pacifique, serpente entre ces îles formant l’archipel immense qui s’étend des Philippines à la Nouvelle-Hollande, rase Madagascar, le cap de Bonne-Espérance, se prolonge dans l’Atlantique, suit les côtes d’Afrique, et rejoint l’une de ses extrémités à celle d’où le navigateur s’est embarqué.