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Bradley[1] ou Le Monnier[2] d’observer le ciel ? Et je dis : heureux le géomètre, en qui une étude consommée des sciences abstraites n’aura point affaibli le goût des beaux-arts ; à qui Horace et Tacite seront aussi familiers que Newton ; qui saura découvrir les propriétés d’une courbe, et sentir les beautés d’un poète ; dont l’esprit et les ouvrages seront de tous les temps, et qui aura le mérite de toutes les académies ! Il ne se verra point tomber dans l’obscurité ; il n’aura point à craindre de survivre à sa renommée.


IV.


Nous touchons au moment d’une grande révolution dans les sciences. Au penchant que les esprits me paraissent avoir à la morale, aux belles-lettres, à l’histoire de la nature, et à la physique expérimentale, j’oserais presque assurer qu’avant qu’il soit cent ans, on ne comptera pas trois grands géomètres en Europe. Cette science s’arrêtera tout court, où l’auront laissée les Bernouilli, les Euler, les Maupertuis, les Clairaut, les Fontaine, les D’Alembert et les La Grange. Ils auront posé les colonnes d’Hercule. On n’ira point au delà. Leurs ouvrages subsisteront dans les siècles à venir, comme ces pyramides d’Égypte, dont les masses chargées d’hiéroglyphes réveillent en nous une idée effrayante de la puissance et des ressources des hommes qui les ont élevées.


V.


Lorsqu’une science commence à naître, l’extrême considération qu’on a dans la société pour les inventeurs ; le désir de connaître par soi-même une chose qui fait beaucoup de bruit ; l’espérance de s’illustrer par quelque découverte ; l’ambition de partager un titre avec des hommes illustres, tournent tous les

  1. Astronome anglais (1692-1762) qui, en découvrant le phénomène de l’aberration de la lumière, donna le premier une démonstration satisfaisante du mouvement de translation de la terre autour du soleil.
  2. Astronome français (1715-1799). Il n’avait encore publié, au moment où Diderot écrivait, que les Institutions astronomiques (traduites de l’anglais), et un volume de ses Observations de la lune, du soleil et des étoiles fixes, pour servir à la physique céleste et aux usages de la navigation (1751-75). Il fut le maître de Lalande.