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point de vue, et qui aura certainement les suites les plus avantageuses ; c’est que la région des mathématiciens est un monde intellectuel, où ce que l’on prend pour des vérités rigoureuses perd absolument cet avantage, quand on l’apporte sur notre terre. On en a conclu que c’était à la philosophie expérimentale à rectifier les calculs de la géométrie ; et cette conséquence a été avouée, même par les géomètres. Mais à quoi bon corriger le calcul géométrique par l’expérience ? N’est-il pas plus court de s’en tenir au résultat de celle-ci ? d’où l’on voit que les mathématiques, transcendantes surtout, ne conduisent à rien de précis sans l’expérience ; que c’est une espèce de métaphysique générale, où les corps sont dépouillés de leurs qualités individuelles ; et qu’il resterait au moins à faire un grand ouvrage qu’on pourrait appeler l’Application de l’expérience à la géométrie, ou Traité de l’aberration des mesures.


III.


Je ne sais s’il y a quelque rapport entre l’esprit du jeu et le génie mathématicien ; mais il y en a beaucoup entre un jeu et les mathématiques. Laissant à part ce que le sort met d’incertitude d’un côté, ou le comparant avec ce que l’abstraction met d’inexactitude de l’autre, une partie de jeu peut être considérée comme une suite indéterminée de problèmes à résoudre, d’après des conditions données. Il n’y a point de question de mathématiques à qui la même définition ne puisse convenir, et la chose du mathématicien n’a pas plus d’existence dans la nature que celle du joueur. C’est, de part et d’autre, une affaire de convention. Lorsque les géomètres ont décrié les métaphysiciens, ils étaient bien éloignés de penser que toute leur science n’était qu’une métaphysique. On demandait un jour : Qu’est-ce, qu’un métaphysicien ? Un géomètre répondit : C’est un homme qui ne sait rien. Les chimistes, les physiciens, les naturalistes, et tous ceux qui se livrent à l’art expérimental, non moins outrés dans leurs jugements, me paraissent sur le point de venger la métaphysique, et d’appliquer la même définition au géomètre. Ils disent : À quoi servent toutes ces profondes théories des corps célestes, tous ces énormes calculs de l’astronomie rationnelle, s’ils ne dispensent point