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ou imaginaire, car cette tension, ce ton, cette énergie étant variables, notre corps n’est pas toujours d’un même volume.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Ainsi, c’est au physique comme au moral que nous sommes sujets à nous croire plus grands que nous ne le sommes ?

BORDEU.

Le froid nous rapetisse, la chaleur nous étend, et tel individu peut se croire toute sa vie plus petit ou plus grand qu’il ne l’est réellement. S’il arrive à la masse du faisceau d’entrer en un éréthisme violent, aux brins de se mettre en érection, à la multitude infinie de leurs extrémités de s’élancer au delà de leur limite accoutumée, alors la tête, les pieds, les autres membres, tous les points de la surface du corps seront portés à une distance immense, et l’individu se sentira gigantesque. Ce sera le phénomène contraire si l’insensibilité, l’apathie, l’inertie gagne de l’extrémité des brins, et s’achemine peu à peu vers l’origine du faisceau.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Je conçois que cette expansion ne saurait se mesurer, et je conçois encore que cette insensibilité, cette apathie, cette inertie de l’extrémité des brins, cet engourdissement, après avoir fait un certain progrès, peut se fixer, s’arrêter…

BORDEU.

Comme il est arrivé à La Condamine : alors l’individu sent comme des ballons sous ses pieds.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Il existe au delà du terme de sa sensibilité, et s’il était enveloppé de cette apathie en tout sens, il nous offrirait un petit homme vivant sous un homme mort.

BORDEU.

Concluez de là que l’animal qui dans son origine n’était qu’un point, ne sait encore s’il est réellement quelque chose de plus. Mais revenons.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Où ?

BORDEU.

Où ? au trépan de La Peyronie… Voilà bien, je crois, ce que vous me demandiez, l’exemple d’un homme qui vécut et mourut alternativement… Mais il y a mieux.