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BORDEU.

Vous voyez, mademoiselle, que dans la question de nos sensations en général, qui ne sont toutes qu’un toucher diversifié, il faut laisser là les formes successives que le réseau prend, et s’en tenir au réseau seul.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Chaque fil du réseau sensible peut être blessé ou chatouillé sur toute sa longueur. Le plaisir ou la douleur est là ou là, dans un endroit ou dans un autre de quelqu’une des longues pattes de mon araignée, car j’en reviens toujours à mon araignée ; que c’est l’araignée qui est à l’origine commune de toutes les pattes, et qui rapporte à tel ou tel endroit la douleur ou le plaisir sans l’éprouver.

BORDEU.

Que c’est le rapport constant, invariable de toutes les impressions à cette origine commune qui constitue l’unité de l’animal.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Que c’est la mémoire de toutes ces impressions successives qui fait pour chaque animal l’histoire de sa vie et de son soi.

BORDEU.

Et que c’est la mémoire et la comparaison qui s’ensuivent nécessairement de toutes ces impressions qui font la pensée et le raisonnement.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et cette comparaison se fait où ?

BORDEU.

À l’origine du réseau.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Et ce réseau ?

BORDEU.

N’a à son origine aucun sens qui lui soit propre : ne voit point, n’entend point, ne souffre point. Il est produit, nourri ; il émane d’une substance molle, insensible, inerte, qui lui sert d’oreiller, et sur laquelle il siège, écoute, juge et prononce.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Il ne souffre point.