Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

successives, variées entre elles, et variées chacune dans leur intensité, y produiraient peut-être la mémoire, la conscience du soi, une raison très-bornée. Mais cette sensibilité pure et simple, ce toucher, se diversifie par les organes émanés de chacun des brins ; un brin formant une oreille, donne naissance à une espèce de toucher que nous appelons bruit ou son ; un autre formant le palais, donne naissance à une seconde espèce de toucher que nous appelons saveur ; un troisième formant le nez et le tapissant, donne naissance à une troisième espèce de toucher que nous appelons odeur ; un quatrième formant un œil, donne naissance à une quatrième espèce de toucher que nous appelons couleur.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Mais, si je vous ai bien compris, ceux qui nient la possibilité d’un sixième sens, un véritable hermaphrodite, sont des étourdis. Qui est-ce qui leur a dit que nature ne pourrait former un faisceau avec un brin singulier qui donnerait naissance à un organe qui nous est inconnu ?

BORDEU.

Ou avec les deux brins qui caractérisent les deux sexes ? Vous avez raison ; il y a plaisir à causer avec vous : vous ne saisissez pas seulement ce qu’on vous dit, vous en tirez encore des conséquences d’une justesse qui m’étonne.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Docteur, vous m’encouragez.

BORDEU.

Non, ma foi, je vous dis ce que je pense.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Je vois bien l’emploi de quelques-uns des brins du faisceau ; mais les autres, que deviennent-ils ?

BORDEU.

Et vous croyez qu’une autre que vous aurait songé à cette question ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Certainement.

BORDEU.

Vous n’êtes pas vaine. Le reste des brins va former autant d’autres espèces de toucher, qu’il y a de diversité entre les organes et les parties du corps.