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mortes à quelques minutes l’une de l’autre[1]. Ensuite il a dit ?…

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Des folies qui ne s’entendent qu’aux Petites-Maisons. Il a dit : « Cela est passé ou cela viendra. Et puis qui sait l’état des choses dans les autres planètes ? »

BORDEU.

Peut-être ne faut-il pas aller si loin.

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

« Dans Jupiter ou dans Saturne, des polypes humains ! Les mâles se résolvant en mâles, les femelles en femelles, cela est plaisant… (Là, il s’est mis à faire des éclats de rire à m’effrayer.) L’homme se résolvant en une infinité d’hommes atomiques, qu’on renferme entre des feuilles de papier comme des œufs d’insectes, qui filent leurs coques, qui restent un certain temps en chrysalides, qui percent leurs coques et qui s’échappent en papillons, une société d’hommes formée, une province entière peuplée des débris d’un seul, cela est tout à fait agréable à imaginer… (Et puis les éclats de rire ont repris.) Si l’homme se résout quelque part en une infinité d’hommes animalcules, on y doit avoir moins de répugnance à mourir ; on y répare si facilement la perte d’un homme, qu’elle y doit causer peu de regrets. »

BORDEU.

Cette extravagante supposition est presque l’histoire réelle de toutes les espèces d’animaux subsistants et à venir. Si l’homme ne se résout pas en une infinité d’hommes, il se résout, du moins, en une infinité d’animalcules dont il est impossible de prévoir les métamorphoses et l’organisation future et dernière. Qui sait si ce n’est pas la pépinière d’une seconde génération d’êtres, séparée de celle-ci par un intervalle incompréhensible de siècles et de développements successifs ?

MADEMOISELLE DE L’ESPINASSE.

Que marmottez-vous là tout bas, docteur ?

BORDEU.

Rien, rien, je rêvais de mon côté. Mademoiselle, continuez de lire.

  1. Hélène et Judith. Voir l’Histoire naturelle de l’homme, dans Buffon : Sur les monstres.