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DIDEROT.

L’analogie, dans les cas les plus composés, n’est qu’une règle de trois qui s’exécute dans l’instrument sensible. Si tel phénomène connu en nature est suivi de tel autre phénomène connu en nature, quel sera le quatrième phénomène conséquent à un troisième, ou donné par la nature, ou imaginé à l’imitation de la nature ? Si la lance d’un guerrier ordinaire a dix pieds de long, quelle sera la lance d’Ajax ? Si je puis lancer une pierre de quatre livres, Diomède doit remuer un quartier de rocher. Les enjambées des dieux et les bonds de leurs chevaux seront dans le rapport imaginé des dieux à l’homme. C’est une quatrième corde harmonique et proportionnelle à trois autres dont l’animal attend la résonance qui se fait toujours en lui-même, mais qui ne se fait pas toujours en nature. Peu importe au poëte, il n’en est pas moins vrai. C’est autre chose pour le philosophe ; il faut qu’il interroge ensuite la nature qui, lui donnant souvent un phénomène tout à fait différent de celui qu’il avait présumé, alors il s’aperçoit que l’analogie l’a séduit.

D’ALEMBERT.

Adieu, mon ami, bonsoir et bonne nuit.

DIDEROT.

Vous plaisantez ; mais vous rêverez sur votre oreiller à cet entretien, et s’il n’y prend pas de la consistance, tant pis pour vous, car vous serez forcé d’embrasser des hypothèses bien autrement ridicules.

D’ALEMBERT.

Vous vous trompez ; sceptique je me serai couché, sceptique je me lèverai.

DIDEROT.

Sceptique ! Est-ce qu’on est sceptique ?

D’ALEMBERT.

En voici bien d’une autre ! N’allez-vous pas me soutenir que je ne suis pas sceptique ? Et qui le sait mieux que moi ?

DIDEROT.

Attendez un moment.

D’ALEMBERT.

Dépêchez-vous, car je suis pressé de dormir.