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et des actions. Et pour donner à mon système toute sa force, remarquez encore qu’il est sujet à la même difficulté insurmontable que Berkeley[1] a proposée contre l’existence des corps. Il y a un moment de délire où le clavecin sensible a pensé qu’il était le seul clavecin qu’il y eût au monde, et que toute l’harmonie de l’univers se passait en lui.

D’ALEMBERT.

Il y a bien des choses à dire là-dessus.

DIDEROT.

Cela est vrai.

D’ALEMBERT.

Par exemple, on ne conçoit pas trop, d’après votre système, comment nous formons des syllogismes, ni comment nous tirons des conséquences.

DIDEROT.

C’est que nous n’en tirons point : elles sont toutes tirées par la nature. Nous ne faisons qu’énoncer des phénomènes conjoints, dont la liaison est ou nécessaire ou contingente, phénomènes qui nous sont connus par l’expérience : nécessaires en mathématiques, en physique et autres sciences rigoureuses ; contingents en morale, en politique et autres sciences conjecturales.

D’ALEMBERT.

Est-ce que la liaison des phénomènes est moins nécessaire dans un cas que dans un autre ?

DIDEROT.

Non ; mais la cause subit trop de vicissitudes particulières qui nous échappent, pour que nous puissions compter infailliblement sur l’effet qui s’ensuivra. La certitude que nous avons qu’un homme violent s’irritera d’une injure, n’est pas la même que celle qu’un corps qui en frappe un plus petit le mettra en mouvement.

D’ALEMBERT.

Et l’analogie ?

  1. Berkeley, le philosophe qui, dans la Promenade du sceptique, prend un fleuve pour un cristal solide et les montagnes pour des vapeurs, posait comme principe que l’esprit immatériel ne peut percevoir directement les choses matérielles, mais seulement les idées de ces choses ; d’où il concluait que le monde n’existait pas en dehors de notre esprit.