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cule qui ressemble à une autre, dans une molécule pas un point qui ressemble à un autre point, convenez que l’atome même est doué d’une qualité, d’une forme indivisible ; convenez que la division est incompatible avec les essences des formes, puisqu’elle les détruit. Soyez physicien, et convenez de la production d’un effet lorsque vous le voyez produit, quoique vous ne puissiez vous expliquer la liaison de la cause à l’effet. Soyez logicien, et ne substituez pas à une cause qui est et qui explique tout, une autre cause qui ne se conçoit pas, dont la liaison avec l’effet se conçoit encore moins, qui engendre une multitude infinie de difficultés, et qui n’en résout aucune.

D’ALEMBERT.

Mais si je me dépars de cette cause ?

DIDEROT.

Il n’y a plus qu’une substance dans l’univers, dans l’homme, dans l’animal. La serinette est de bois, l’homme est de chair. Le serin est de chair, le musicien est d’une chair diversement organisée ; mais l’un et l’autre ont une même origine, une même formation, les mêmes fonctions et la même fin.

D’ALEMBERT.

Et comment s’établit la convention des sons entre vos deux clavecins ?

DIDEROT.

Un animal étant un instrument sensible parfaitement semblable à un autre, doué de la même conformation, monté des mêmes cordes, pincé de la même manière par la joie, par la douleur, par la faim, par la soif, par la colique, par l’admiration, par l’effroi, il est impossible qu’au pôle et sous la ligne il rende des sons différents. Aussi trouverez-vous les interjections à peu près les mêmes dans toutes les langues mortes ou vivantes. Il faut tirer du besoin et de la proximité l’origine des sons conventionnels. L’instrument sensible ou l’animal a éprouvé qu’en rendant tel son il s’ensuivait tel effet hors de lui, que d’autres instruments sensibles pareils à lui ou d’autres animaux semblables s’approchaient, s’éloignaient, demandaient, offraient, blessaient, caressaient, et ces effets se sont liés dans sa mémoire et dans celle des autres à la formation de ces sons ; et remarquez qu’il n’y a dans le commerce des hommes que des bruits