Page:Diderot - Œuvres complètes, éd. Assézat, II.djvu/120

Cette page a été validée par deux contributeurs.

fiat homo secundum artem. Et celui qui exposerait à l’Académie le progrès de la formation d’un homme ou d’un animal, n’emploierait que des agents matériels dont les effets successifs seraient un être inerte, un être sentant, un être pensant, un être résolvant le problème de la précession des équinoxes, un être sublime, un être merveilleux, un être vieillissant, dépérissant, mourant, dissous et rendu à la terre végétale.

D’ALEMBERT.

Vous ne croyez donc pas aux germes préexistants ?

DIDEROT.

Non.

D’ALEMBERT.

Ah ! que vous me faites plaisir !

DIDEROT.

Cela est contre l’expérience et la raison : contre l’expérience qui chercherait inutilement ces germes dans l’œuf et dans la plupart des animaux avant un certain âge ; contre la raison qui nous apprend que la divisibilité de la matière a un terme dans la nature, quoiqu’elle n’en ait aucun dans l’entendement, et qui répugne à concevoir un éléphant tout formé dans un atome, et dans cet atome un autre éléphant tout formé, et ainsi de suite à l’infini.

D’ALEMBERT.

Mais sans ces germes préexistants, la génération première des animaux ne se conçoit pas.

DIDEROT.

Si la question de la priorité de l’œuf sur la poule ou de la poule sur l’œuf vous embarrasse, c’est que vous supposez que les animaux ont été originairement ce qu’ils sont à présent. Quelle folie ! On ne sait non plus ce qu’ils ont été qu’on ne sait ce qu’ils deviendront. Le vermisseau imperceptible qui s’agite dans la fange, s’achemine peut-être à l’état de grand animal ; l’animal énorme, qui nous épouvante par sa grandeur, s’achemine peut-être à l’état de vermisseau, est peut-être une production particulière et momentanée de cette planète[1].

D’ALEMBERT.

Comment avez-vous dit cela ?

  1. Voir les Pensées sur l’interprétation de la nature, question 2.