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leçons et l’édifier par ses exemples. Les exemples édifiants des moines ! Est-ce l’assassinat de Henri III, de Henri IV, celui du roi de Portugal, arrivé de nos jours, qui vous édifient ? Quelle aveugle prévention en faveur de ces misérables peut vous faire parler ainsi ? Avez-vous oublié tous les maux qu’ils ont faits à votre nation ; les horreurs de la Ligue, que leurs cris fanatiques ont excitée ; le massacre de la Saint-Barthélemi, dont ils ont été les instigateurs ; et tous les torrents de sang qu’ils ont fait répandre en France pendant deux cents ans de guerre de religion ? Ils en feraient répandre encore, si les mêmes circonstances revenaient ; ils n’ont pas changé d’esprit ; ils gémissent de voir le siècle éclairé. Que les temps d’ignorance reparaissent, vous les verrez sortir encore des ténèbres de leur cloître, pour gouverner et bouleverser les États. Par quel inconcevable aveuglement a-t-on pu laisser subsister jusqu’à nos jours ces sociétés pernicieuses ? Je ne parlerai point ici de leurs mœurs ; mais tous ceux qui ont été à portée de les connaître savent dans quel excès de dissolution et de dérèglement ils vivent dans leurs maisons. Cette classe d’hommes est devenue encore plus vile de nos jours ; elle n’est plus composée que de gens de la lie du peuple, qui aiment mieux vivre lâchement aux dépens de la charité publique, que de gagner honnêtement leur vie dans un atelier ou derrière une charrue. Ainsi, ils ne se contentent pas de priver la société de travail ; ils enlèvent encore les fruits du leur aux citoyens utiles. Puisse l’homme de génie[1], placé actuellement au timon de l’État, joindre aux grands services qu’il a déjà rendus à la nation, celui de réformer, au profit de la nation, ces corps nombreux qui la rongent et la dépeuplent ! En conservant à la patrie plus de quatre-vingt mille citoyens qui lui sont enlevés à chaque génération, il méritera plus d’elle que par des victoires et des conquêtes. Une postérité nouvelle, qui, sans lui, n’aurait point été, le bénira un jour de lui avoir donné la vie ; et ainsi il sera le bienfaiteur de la race présente et des races à venir.

  1. M. le duc de Choiseul. (Diderot.) — C’est cette indication qui nous a conduit à rectifier la date de 1767 attribuée jusqu’ici à cet écrit. C’est en 1764 que le duc de Choiseul signa l’ordre de suppression des jésuites, et certainement si Diderot avait écrit en 1767, un fait si important aurait modifié dans sa forme l’expression de son vœu. L’Émile, dont il est question dans le dernier paragraphe du premier morceau, avait paru et avait été condamné au feu en 1762.