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Quoi qu’il en soit, si nous prétendons atteindre à l’évidence et répandre quelques lumières dans cet Essai, nous ne pouvons nous dispenser de prendre les choses de loin, et de remonter à la source tant de la croyance naturelle, que des opinions fantasques, concernant la Divinité. Si nous nous tirons heureusement de ces commencements épineux, il faut espérer que le reste de notre route sera doux et facile.


SECTION II.


Ou tout est conforme au bon ordre dans l’univers, ou il y a des choses qu’on aurait pu former plus adroitement, ordonner avec plus de sagesse et disposer plus avantageusement pour l’intérêt général des êtres et du tout.

Si tout est conforme au bon ordre, si tout concourt au bien général, si tout est fait pour le mieux, il n’y a point de mal absolu dans l’univers, point de mal relatif au tout.

Tout ce qui est tel qu’il ne peut être mieux, est parfaitement bon.

S’il y a dans la nature quelque mal absolu, il est possible qu’il y eut quelque chose de mieux ; sinon, tout est parfait et comme il doit être.

S’il y a quelque chose d’absolument mal, il a été produit à dessein, ou s’est fait par hasard.

S’il a été produit à dessein, ou l’ouvrier éternel n’est pas seul, ou n’est pas excellent. Car s’il était excellent, il n’y aurait point de mal absolu : ou s’il y a quelque mal absolu, c’est un autre qui l’aura causé.

Si le hasard a produit dans l’univers quelque mal absolu,

    pires qu’ils ne peuvent ! (Essais, liv. II, chap. xii.) On ne peut s’empêcher de reconnaître dans cette peinture un très-grand nombre d’impies ; et il serait peut-être à souhaiter qu’elle convînt à tous. Mais s’il y a quelques impies de bonne foi, comme la multitude des ouvrages dogmatiques lancés contre eux ne permet pas d’en douter, il est essentiel à l’intérêt, et même à l’honneur de la religion, qu’il n’y ait que les esprits supérieurs qui se chargent de les combattre. Quant aux autres, qui peuvent avoir autant et quelquefois plus de zèle avec moins de lumières, ils devraient se contenter de lever leurs mains vers le ciel pendant l’action, et c’est leparti que j’aurais pris sans doute, si je ne regardais l’auteur dont je m’appuie à chaque pas comme un de ces hommes extraordinaires et proportionnés à la dignité de la cause qu’ils ont à soutenir. (Diderot.)