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L’ordre qui doit régner entre les gestes d’un sourd et muet de naissance, dont la conversation familière m’a paru préférable aux expériences sur un muet de convention ; et la difficulté qu’on a de transmettre certaines idées à ce sourd et muet m’ont fait distinguer, entre les signes oratoires, les premiers et les derniers institués.

J’ai vu que les signes qui marquaient dans le discours les parties indéterminées de la quantité, et surtout celles du temps, avaient été du nombre des derniers institués, et j’ai compris pourquoi quelques langues manquaient de plusieurs temps, et pourquoi d’autres langues faisaient un double emploi du même temps.

Ce manque de temps dans une langue et cet abus des temps dans une autre m’ont fait distinguer dans toute langue en général trois états différents : l’état de naissance, celui de formation et l’état de perfection.

J’ai vu sous la langue formée l’esprit enchaîné par la syntaxe, et dans l’impossibilité de mettre entre ses concepts l’ordre qui règne dans les périodes grecques et latines ; d’où j’ai conclu : 1o que, quel que soit l’ordre des termes dans une langue ancienne ou moderne, l’esprit de l’écrivain a suivi l’ordre didactique de la syntaxe française ; 2o que, cette syntaxe étant la plus simple de toutes, la langue française avait à cet égard et à plusieurs autres l’avantage sur les langues anciennes.

J’ai fait plus. J’ai démontré par l’introduction et par l’utilité de l’article hic, ille dans la langue latine et le dans la langue française, et par la nécessité d’avoir plusieurs perceptions à la fois pour former un jugement ou un discours, que, quand l’esprit ne serait point subjugué par les syntaxes grecque et latine, la suite de ses vues ne s’éloignerait guère de l’arrangement didactique de nos expressions.

En suivant le passage de l’état de langue formée à l’état de langue perfectionnée, j’ai rencontré l’harmonie.

J’ai comparé l’harmonie du style à l’harmonie musicale ; et je me suis convaincu : 1o que dans les mots la première étaît un effet de la quantité et d’un certain entrelacement des voyelles avec les consonnes, suggéré par l’instinct, et que dans la période, elle résultait de l’arrangement des mots ; 2o que l’harmonie syllabique et l’harmonie périodique engendraient une