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l’éprouve ; mangerais, le désir et la nature de la sensation éprouvée ; volontiers, son intensité ou sa force : icelui, la présence de l’objet désiré ; mais la sensation n’a point dans l’âme ce développement successif du discours ; et si elle pouvait commander à vingt bouches, chaque bouche disant son mot, toutes les idées précédentes seraient rendues à la fois : c’est ce qu’elle exécuterait à merveille sur un clavecin oculaire, si le système de mon muet était institué, et que chaque couleur fût l’élément d’un mot. Aucune langue n’approcherait de la rapidité de celle-ci. Mais au défaut de plusieurs bouches, voici ce qu’on a fait : on a attaché plusieurs idées à une seule expression. Si ces expressions énergiques étaient plus fréquentes, au lieu que la langue se traîne sans cesse après l’esprit, la quantité d’idées rendues à la fois pourrait être telle, que, la langue allant plus vite que l’esprit, il serait forcé de courir après elle. Que deviendrait alors l’inversion, qui suppose décomposition des mouvements simultanés de l’âme, et multitude d’expressions ? Quoique nous n’ayons guère de ces termes qui équivalent à un long discours, ne suffit-il pas que nous en ayons quelques-uns ; que le grec et le latin en fourmillent, et qu’ils soient employés et compris sur-le-champ, pour vous convaincre que l’âme éprouve une foule de perceptions, sinon à la fois, du moins avec une rapidité si tumultueuse, qu’il n’est guère possible d’en découvrir la loi ?

Si j’avais affaire à quelqu’un qui n’eût pas encore la facilité des idées abstraites, je lui mettrais ce système de l’entendement humain en relief, et je lui dirais : Monsieur, considérez l’homme automate comme une horloge ambulante ; que le cœur en représente le grand ressort ; et que les parties contenues dans la poitrine soient les autres pièces principales du mouvement. Imaginez dans la tête un timbre garni de petits marteaux, d’où partent une multitude infinie de fils, qui se terminent à tous les points de la boîte. Élevez sur ce timbre une de ces petites figures dont nous ornons le haut de nos pendules ; qu’elle ait l’oreille penchée, comme un musicien qui écouterait si son instrument est bien accordé : cette petite figure sera l’âme. Si plusieurs des petits cordons sont tirés dans le même instant, le timbre sera frappé de plusieurs coups, et la petite figure entendra plusieurs sons à la fois. Supposez qu’entre ces cordons il y en ait certains qui soient toujours tirés ; comme nous ne nous