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LETTRE


SUR LES SOURDS ET MUETS


À L’USAGE


DE CEUX QUI ENTENDENT ET QUI PARLENT


Où l’on traite de l’origine des inversions, de l’harmonie du style, du sublime de situation, de quelques avantages de la langue française sur la plupart des langues anciennes et modernes, et, par occasion, de l’expression particulière aux beaux-arts.




Je n’ai point eu dessein, monsieur, de me faire honneur de vos recherches, et vous pouvez revendiquer dans cette lettre tout ce qui vous conviendra. S’il est arrivé à mes idées d’être voisines des vôtres, c’est comme au lierre à qui il arrive quelquefois de mêler sa feuille à celle du chêne. J’aurais pu m’adresser à M. l’abbé de Condillac, ou à M. du Marsais, car ils ont aussi traité la matière des inversions : mais vous vous êtes offert le premier à ma pensée ; et je me suis accommodé de vous, bien persuadé que cette fois-ci le public ne prendrait point une rencontre heureuse pour une préférence. La seule crainte que j’aie, c’est celle de vous distraire, et de vous ravir des instants que vous donnez sans doute à l’étude de la philosophie, et que vous lui devez.

Pour bien traiter la matière des inversions, je crois qu’il est à propos d’examiner comment les langues se sont formées. Les objets sensibles ont les premiers frappé les sens ; et ceux qui réunissaient plusieurs qualités sensibles à la fois ont été les premiers nommés : ce sont les différents individus qui composent cet univers. On a ensuite distingué les qualités sensibles les unes des autres ; on leur a donné des noms : ce sont la plupart des adjectifs. Enfin, abstraction faite de ces qualités sensibles,