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Il vient un temps où le goût donne des conseils dont on reconnaît la justesse, mais qu’on n’a plus la force de suivre.

C’est la pusillanimité qui naît de la conscience de la faiblesse, ou la paresse, qui est une des suites de la faiblesse et de la pusillanimité, qui me dégoûte d’un travail qui nuirait plus qu’il ne servirait à l’amélioration de mon ouvrage.


Solve senescentem mature sanus equum, ne
Peccet ad extremum ridendus, et ilia ducat.

Horat. Epistolar. lib. I, Epist. i, vers. 8, 9.


PHÉNOMÈNES.


I. Un artiste qui possède à fond la théorie de son art, et qui ne le cède à aucun autre dans la pratique, m’a assuré que c’était par le tact et non par la vue qu’il jugeait de la rondeur des pignons ; qu’il les faisait rouler doucement entre le pouce et l’index, et que c’était par l’impression successive qu’il discernait de légères inégalités qui échapperaient à son œil.

II. On m’a parlé d’un aveugle qui connaissait au toucher quelle était la couleur des étoffes.

III. J’en pourrais citer un qui nuance des bouquets avec cette délicatesse dont J.-J. Rousseau se piquait lorsqu’il confiait à ses amis, sérieusement ou par plaisanterie, le dessein d’ouvrir une école où il donnerait leçons aux bouquetières de Paris.

IV. La ville d’Amiens a vu un appareilleur aveugle conduire un atelier nombreux avec autant d’intelligence que s’il avait joui de ses yeux.

V. L’usage des yeux ôtait à un clairvoyant la sûreté de la main ; pour se raser la tête, il écartait le miroir et se plaçait devant une muraille nue. L’aveugle qui n’aperçoit pas le danger en devient d’autant plus intrépide, et je ne doute point qu’il ne marchât d’un pas plus ferme sur des planches étroites et élastiques qui formeraient un pont sur un précipice. Il y a peu de personnes dont l’aspect des grandes profondeurs n’obscurcisse la vue.

VI. Qui est-ce qui n’a pas connu ou entendu parler du