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devait trouver d’autant moins d’absurdité à supposer que deux sens pussent être en contradiction, qu’il imagine qu’un miroir les y met en effet, comme je l’ai remarqué plus haut.

M. de Condillac observe ensuite que M. Molineux a embarrassé la question de plusieurs conditions qui ne peuvent ni prévenir ni lever les difficultés que la métaphysique formerait à l’aveugle-né. Cette observation est d’autant plus juste, que la métaphysique que l’on suppose à l’aveugle-né n’est point déplacée ; puisque, dans ces questions philosophiques, l’expérience doit toujours être censée se faire sur un philosophe, c’est-à-dire sur une personne qui saisisse, dans les questions qu’on lui propose, tout ce que le raisonnement et la condition de ses organes lui permettent d’y apercevoir.

Voilà, madame, en abrégé, ce qu’on a dit pour et contre sur cette question ; et vous allez voir, par l’examen que j’en ferai, combien ceux qui ont annoncé que l’aveugle-né verrait les figures et discernerait les corps, étaient loin de s’apercevoir qu’ils avaient raison ; et combien ceux qui le niaient avaient de raisons de penser qu’ils n’avaient point tort.

La question de l’aveugle-né, prise un peu plus généralement que M. Molineux ne l’a proposée, en embrasse deux autres que nous allons considérer séparément. On peut demander : 1° si l’aveugle-né verra aussitôt que l’opération de la cataracte sera faite ; 2° dans le cas qu’il voie, s’il verra suffisamment pour discerner les figures ; s’il sera en état de leur appliquer sûrement, en les voyant, les mêmes noms qu’il leur donnait au toucher ; et s’il aura la démonstration que ces noms leur conviennent.

L’aveugle-né verra-t-il immédiatement après la guérison de l’organe ? Ceux qui prétendent qu’il ne verra point, disent : « Aussitôt que l’aveugle-né jouit de la faculté de se servir de ses yeux, toute la scène qu’il a en perspective vient se peindre dans le fond de son œil. Cette image, composée d’une infinité d’objets rassemblés dans un fort petit espace, n’est qu’un amas confus de figures qu’il ne sera pas en état de distinguer les unes des autres. On est presque d’accord qu’il n’y a que l’expérience qui puisse lui apprendre à juger de la distance des objets, et qu’il est même dans la nécessité de s’en approcher, de les toucher, de s’en éloigner, de s’en rapprocher, et de les toucher